Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/409

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curiosité, et que l’autre se meurt chaque jour de lassitude. Nous ressemblons tous plus ou moins à un voyageur qui aurait parcouru un très-grand pays, et regarderait chaque soir le soleil, qui jadis dorait superbement les agréments de la route, se coucher dans un horizon plat. Il s’assied avec résignation sur de sales collines couvertes de débris inconnus, et dit aux senteurs de bruyères qu’elles ont beau monter vers le ciel vide ; aux graines rares et malheureuses, qu’elles ont beau germer dans un sol desséché ; aux oiseaux qui croient leurs mariages bénis par quelqu’un, qu’ils ont tort de bâtir des nids dans une contrée balayée de vents froids et violents. Il reprend tristement sa route vers un désert qu’il sait semblable à celui qu’il vient de parcourir, escorté par un pâle fantôme qu’on nomme Raison, qui éclaire avec une pâle lanterne l’aridité de son chemin, et, pour étancher la soif renaissante de passion qui le prend de temps en temps, lui verse le poison de l’ennui.

Tout d’un coup, entendant un profond soupir et un sanglot mal comprimé, il se retourna vers madame de Cosmelly ; elle pleurait abondamment et n’avait même plus la force de cacher ses larmes.

Il la considéra quelque temps en silence, avec l’air le plus attendri et le plus onctueux qu’il put se donner ; le brutal et hypocrite comédien était fier de ces belles larmes ; il les considérait comme son œuvre et sa propriété littéraire. Il se méprenait sur le sens intime de cette douleur, comme madame de Cosmelly, noyée