Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/418

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des pardons à implorer ; car il a, par sa faute, enseigné à sa femme d’affreux sentiments, la haine, la défiance de l’objet aimé et la soif de la vengeance. — Ah ! monsieur, je passe des nuits bien douloureuses, des insomnies bien inquiètes ; je prie, je maudis, je blasphème. Le prêtre me dit qu’il faut porter sa croix avec résignation ; mais l’amour en démence, mais la foi ébranlée, ne savent pas se résigner. Mon confesseur n’est pas une femme, et j’aime mon mari ; je l’aime, monsieur, avec toute la passion et toute la douleur d’une maîtresse battue et foulée aux pieds. Il n’est rien que je n’aie tenté. Au lieu des toilettes sombres et simples auxquelles son regard se plaisait autrefois, j’ai porté des toilettes folles et somptueuses comme les femmes de théâtre. Moi, la chaste épouse qu’il était allé chercher au fond d’un pauvre château, j’ai paradé devant lui avec des robes de fille ; je me suis faite spirituelle et enjouée quand j’avais la mort dans le cœur. J’ai pailleté mon désespoir avec des sourires étincelants. Hélas ! il n’a rien vu. J’ai mis du rouge, monsieur, j’ai mis du rouge ! — Vous le voyez, c’est une histoire banale, l’histoire de toutes les malheureuses — un roman de province !

Pendant qu’elle sanglotait, Samuel faisait la figure de Tartufe empoigné par Orgon, l’époux inattendu, qui s’élance du fond de sa cachette, comme les vertueux sanglots de cette dame qui s’élançaient de son cœur, et venaient saisir au collet l’hypocrisie chancelante de notre poëte.