Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/426

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rêter avec respect ; car, avec ce diable d’homme, le grand problème est toujours de savoir où le comédien commence.

— Ah ! vous voilà, monsieur ! lui dit-elle sans se déranger, quoiqu’elle eût été prévenue quelques minutes auparavant de la visite de Samuel. — Vous avez quelque chose à me demander, n’est-ce pas ?

L’impudence sublime de cette parole alla droit au cœur du pauvre Samuel ; il avait bavardé comme une pie romantique pendant huit jours auprès de madame de Cosmelly ; ici, il répondit tranquillement :

— Oui, Madame.

Et les larmes lui vinrent aux yeux.

Cela eut un succès énorme ; la Fanfarlo sourit.

— Mais quel insecte vous a donc piqué, monsieur, pour me mordre à si belles dents ? Quel affreux métier…

— Affreux, en effet, madame… c’est que je vous adore.

— Je m’en doutais, répliqua la Fanfarlo. Mais vous êtes un monstre ; cette tactique est abominable. — Pauvres filles que nous sommes ! ajouta-t-elle en riant. — Flore, mon bracelet. — Donnez-moi le bras jusqu’à ma voiture, et dites-moi si vous m’avez trouvée bien ce soir ?

Ils allèrent ainsi, bras dessus, bras dessous, comme deux vieux amis ; Samuel aimait, ou du moins sentait son cœur battre fort. — Il fut peut-être singulier, mais à coup sûr cette fois il ne fut pas ridicule.