Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/447

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jouissance d’une seconde, mais jouissance suprême, jouissance poussée aux dernières limites du possible pour les imaginations les plus délicates, — cette glorieuse production ne pouvait être vue et comprise qu’au moment où le soleil touchait l’horizon. Les deux amis purent se préparer à cette jouissance passagère et suprême, pendant qu’une pyramide de flammes grimpait lentement sur la surface du tableau. Toute la partie supérieure était donc ensevelie dans les ténèbres, quand la lumière commença à teindre le pied de la puissante montagne. Ce rayon, dardé comme une flèche immobile, monta par degrés des vallées de vignes et d’oliviers jusqu’à la région nuageuse qu’aucun pied humain n’a jamais foulée. Une minute après, le rayon atteignit la région des Immortels et les enveloppa d’une atmosphère d’or ; tout ce qui était d’abord invisible, ou ne pouvait être entrevu qu’à travers de vagues ténèbres, brillait maintenant d’une excessive splendeur. Les trônes des diverses déités rangées en cercle dardaient les couleurs de tous les joyaux connus des orfèvres mortels, et des diamants connus aux dieux seuls. Le chemin qui conduisait au grand trône était pavé d’étoiles. Une gloire flamboyante de diamants était le voile qui enveloppait vaguement l’auguste présence du souverain des mondes célestes. L’invasion rapide du rayon, quand il traversa le cercle de grandeur et de beauté, sembla le remplir d’une vie et d’un mouvement soudains. Au centre restait encore une forme, voilée en apparence par un nuage,