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Les Fleurs du mal étaient un de ces titres heureux plus difficiles à trouver qu’on ne pense. Il résumait sous une forme brève et poétique l’idée générale du livre et en indiquait les tendances. Quoiqu’il soit bien évidemment romantique d’intention et de facture, on ne saurait rattacher par un lien bien visible Baudelaire à aucun des grands maîtres de cette école. Son vers, d’une structure raffinée et savante, d’une concision parfois trop serrée et qui étreint les objets plutôt comme une armure que comme un vêtement, présente à la première lecture une apparence de difficulté et d’obscurité. Cela tient, non pas à un défaut de l’auteur, mais à la nouveauté même des choses qu’il exprime et qui n’ont pas encore été rendues par des moyens littéraires. Il a fallu que le poëte, pour y parvenir, se composât une langue, un rhythme et une palette. Mais il n’a pu empêcher que le lecteur ne demeurât surpris en face de ces vers si différents de ceux qu’on a faits jusqu’ici. Pour peindre ces corruptions qui lui font horreur, il a su trouver ces nuances morbidement riches de la pourriture plus ou moins avancée, ces tons de nacre et de burgau qui glacent les eaux stagnantes, ces roses de phthisie, ces blancs de chlorose, ces jaunes fielleux de bile extravasée, ces gris plombés de brouillard pestilentiel, ces verts empoisonnés et métalliques puant l’arséniate de cuivre, ces noirs de fumée délayés par la pluie le long des murs plâtreux, ces bitumes recuits et roussis dans toutes les fritures de l’enfer si excellents pour servir de fond à quelque tête livide et spectrale, et toute cette gamme de couleurs exaspérées poussées au degré le plus intense, qui correspondent à l’automne, au coucher du soleil, à la maturité extrême des fruits, et à la dernière heure des civilisations.

Le livre s’ouvre par une pièce au lecteur que le poëte