Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/39

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patrouilles grises et toutes ces larves obscures qui ne sortent et ne travaillent que la nuit. Il a l’air de savoir la plus récente chronique du sabbat, et il se frotte volontiers à la jambe boiteuse de Méphistophélès. Ses sérénades sous les balcons des chattes, ses amours sur les toits, accompagnées de cris semblables à ceux d’un enfant qu’on égorge, lui donnent un air passablement satanique qui justifie jusqu’à un certain point la répugnance des esprits diurnes et pratiques, pour qui les mystères de l’Érèbe n’ont aucun attrait. Mais un docteur Faust, dans sa cellule encombrée de bouquins et d’instruments d’alchimie, aimera toujours avoir un chat pour compagnon. Baudelaire lui-même était un chat voluptueux, câlin, aux façons veloutées, à l’allure mystérieuse, plein de force dans sa fine souplesse, fixant sur les choses et les hommes un regard d’une lueur inquiétante, libre, volontaire, difficile à retenir, mais sans aucune perfidie et fidèlement attaché à ceux vers qui l’avait une fois porté son indépendante sympathie.

Diverses figures de femme paraissent au fond des poésies de Baudelaire, les unes voilées, les autres demi-nues, mais sans qu’on puisse leur attribuer un nom. Ce sont plutôt des types que des personnes. Elles représentent l’éternel féminin, et l’amour que le poëte exprime pour elles est l’amour et non pas un amour, car nous avons vu que dans sa théorie il n’admettait pas la passion individuelle, la trouvant trop crue, trop familière et trop violente. Parmi ces femmes, les unes symbolisent la prostitution inconsciente et presque bestiale, avec leurs masques plâtrés de fard et de céruse, leurs yeux charbonnés de k’hol, leurs bouches teintes de rouge et semblables à des blessures saignantes, leurs casques de faux cheveux et leurs bijoux d’un éclat sec et dur ; les autres, d’une corruption plus froide, plus savante et plus