Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/66

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trop semblable à un sérail. Les houris vertes, rouges et blanches sortant de la perle creuse qu’elles habitent et s’offrant aux fidèles avec leur virginité sans cesse renaissante, paraîtraient de vulgaires maritornes comparées aux nymphes, aux anges, aux sylphides, vapeurs parfumées, transparences idéales, formes soufflées de lumière rose et bleue, se détachant en clair sur des disques de soleil et venant du fond de l’infini avec des élancements stellaires comme les globules d’argent d’une liqueur gazeuse, du fond d’une coupe de cristal que le haschichin voit passer par légions innombrables dans le rêve qu’il fait tout éveillé.

Sans ces précautions, l’extase peut très-bien tourner au cauchemar. Les voluptés se changent en souffrances, les joies en terreurs ; une angoisse terrible vous saisit à la gorge, vous pose son genou sur l’estomac, et vous écrase de son poids fantastiquement énorme, comme si le sphinx des pyramides ou l’éléphant du roi de Siam s’amusait à vous aplatir. D’autres fois, un froid glacial vous envahit et vous fait monter le marbre jusqu’aux hanches, comme à ce roi des Mille et une Nuits à demi changé en statue et dont sa méchante femme venait battre tous les matins les épaules restées souples.

Baudelaire raconte deux ou trois hallucinations d’hommes de caractères différents, et une autre éprouvée par une femme dans ce cabinet de glaces recouvert d’un treillage doré et festonné de fleurs, qu’il n’est pas difficile de reconnaître pour le boudoir de l’hôtel Pimodan, et il accompagne chaque vision d’un commentaire analytique et moral, où perce sa répugnance invincible à l’endroit de tout bonheur obtenu par des moyens factices. Il détruit cette considération du secours que pourrait tirer le génie des idées que suggère l’ivresse du haschich. D’abord ces idées ne sont pas si belles qu’on se l’imagine ; leur charme vient surtout de l’extrême excitation