Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/70

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réflexions philosophiques, de manière à former un abrégé qui représente l’œuvre entière. Rien de plus curieux que les détails biographiques qui ouvrent ces confessions et racontent la fuite de l’écolier pour se soustraire à la tyrannie de ses tuteurs, sa vie errante, misérable et famélique à travers ce grand désert de Londres, son séjour dans ce logis transformé en galetas par la négligence du propriétaire, sa liaison avec la petite servante demi-idiote et Ann, une pauvre fille, triste violette de trottoir, innocente et virginale jusque dans la prostitution, sa rentrée en grâce auprès de sa famille et sa prise de possession d’une fortune assez considérable pour lui permettre de se livrer à ses études favorites au fond d’un charmant cottage, en compagnie d’une noble femme qu’Oreste de l’opium il appelle son Électre. Car déjà il a pris, à la suite de douleurs névralgiques, l’habitude indéracinable du poison dont il absorbait bientôt, sans résultat fâcheux, la dose énorme de quarante grains par jour. Il est peu de poésies, même chez Byron, Coleridge et Shelley, qui dépassent en magnificence étrange et grandiose les rêves de de Quincey. Aux visions les plus éclatantes et qu’illuminent des lueurs argentines et bleues de paradis ou d’Élysée en succèdent d’autres plus sombres que l’Érèbe et auxquelles on peut appliquer ces vers effrayants du poëte : « C’était comme si un grand peintre eût trempé son pinceau dans la noirceur du tremblement de terre et de l’éclipse. »

De Quincey, qui était un humaniste des plus distingués et des plus précoces, — il savait le grec et le latin à dix ans, — avait toujours pris beaucoup de plaisir à la lecture de Tite-Live, et ces mots consul romanus résonnaient à son oreille comme une formule magique et péremptoirement irrésistible. Ces cinq syllabes éclataient à son oreille avec des vibrations de trompettes sonnant des fanfares triomphales, et, lorsque,