Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T04.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
BRUNUS.

qui ont des individus végétatifs et raisonnables, comme il y en a sur la terre. L’opinion contraire est traitée de puérile. La quarta afferma esser conformi in materia questo mondo nostro, ch’ è detto globo della terra, con gli mondi che son gli corpi de gl’ altri astri : e che è cosa da fanciulli haver creduto et credere altrimente. E che quei son tanti animali intelletuali : e che non meno in quelli vegetano e intendono molti e innumerabili individui semplici e composti, che veggiamo vivere e vegetar nel dorso di questo[1]. Enfin j’ai vu li Heroici Furori de cet écrivain. Ils contiennent deux parties, dont chacune est divisée en cinq dialogues. Il les fit pendant son séjour en Angleterre, et les dédia à M.[2] Sidnei. Il y a beaucoup de vers italiens dans cet ouvrage, et beaucoup d’imaginations cabalistiques ; car sous des figures qui semblent représenter les transports et les désordres de l’amour, il prétend élever l’âme à la contemplation des vérités les plus sublimes, et la guérir de ses défauts. On voit sur la fin quelques poésies où il chante la beauté des femmes de Londres.

On peut faire deux remarques générales sur les idées de cet auteur : l’une est que ses principales doctrines sont mille fois plus obscures que tout ce que les sectateurs de Thomas d’Aquin, ou de Jean Scot[3], ont jamais dit de plus incompréhensible ; car y a-t-il rien de si opposé aux notions de notre esprit, que de soutenir qu’une étendue infinie est toute entière dans chaque point de l’espace, et qu’un nombre infini ne diffère point de l’unité[4] ? L’autre observation est qu’il se figure ridiculement que tout ce qu’il dit s’éloigne des hypothèses des péripatéticiens. C’est le sophisme ignoratio elenchi. Il n’y a entre eux et lui qu’une dispute de mot à égard de l’immutabilité, ou de la destructibilité des choses. Ils n’ont jamais prétendu que la matière en tant que substance, en tant que sujet commun des générations et des corruptions, souffre le moindre changement. Mais ils soutiennent que la production, et la destruction des formes suppose que le sujet qui les acquiert, et qui les perd successivement, n’est point immuable et inaltérable. Brunus ne saurait nier cela qu’en prenant les mots dans un sens particulier ; ce n’est donc qu’un malentendu, ce ne sont que des équivoques. Nous allons voir qu’il reconnaît de la mutabilité dans son être unique. Per il che, dit-il [5], non vi sonarà mal nel orecchio la sentenza di Heraclito, che disse tutte le cose essere uno, il quale per la Mutabilita ha in se tutte le cose ; et perche tutte le forme sono in esso, conseguentemente tutte le diffinitioni gli convegnono : e per tanto le contradittorie enunciationi son vere. E quello che fa la moltitudine ne le cose non è lo ente, non è la cosa : ma quel che appare, che si rapresenta al senso, e è nella superficie della cosa. Un péripatéticien lui avouerait presque tout cela, dès que l’on aurait levé des équivoques. Notez, je vous prie, une absurdité : il dit que ce n’est point l’être qui fait qu’il y a beaucoup de choses, mais que cette multitude consiste dans ce qui paraît sur la superficie de la substance. Qu’il me réponde, s’il lui plaît : ces apparences qui frappent nos sens, existent-elles ou n’existent-elles pas ? Si elles existent, elles sont un être, c’est donc par des êtres qu’il y a une multitude de choses. Si elles n’existent pas, il s’ensuit que le néant agit sur nous et se fait sentir ; ce qui est absurde et impossible. On ne se peut évader qu’à la faveur d’une équivoque. Le spinozisme est sujet à ces mêmes inconvéniens.

Le sieur Sorel a rapporté et combattu quelques opinions de notre Brunus, et il a même tâché de l’excuser ; mais il ne s’y est pas bien pris[6]. Lisez ces paroles : « Quoique Jordan Brun ait pu être dans l’erreur aussi bien que quelques autres, il faut

  1. Giordano Bruno, epist. dedicat. della Cena de le Cineri.
  2. Philippe.
  3. C’est-à dire, sectateurs quant à la philosophie.
  4. L’uno, l’infinito, lo ente et quello che è in tutto, e per tutto anzi è l’istezzo Ubique. E che cosi la infinita dimenzione per non essere magnitudine coincide con l’individuo, come la infinita moltitudine, per non esser numero coincide con la unità. Giordano Bruno, epist. dedicator. del Trattato de la Causa, Principio ed Uno.
  5. Dialogo quinto del medesimo Trattato, pag. 127.
  6. Sorel, de la Perfection de l’homme, pag. 238 et suiv.