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BUCER.

oportere esse virum unius uxoris (1. Tim. 3 et Titi 1) quod canones apostolorum, et apostolici patres in hoc usque tempus sic intellexerunt, ut secundis nuptiis copulatus, aut qui viduam accepit, non posse esse ex numero eorum qui ministerio sacro deserviunt [1]. Mélanchthon réfuta facilement cette instance. M. de Meaux dit que Bucer convola en troisièmes noces. C’était un homme assez docte, dit-il [2], d’un esprit pliant, et plus fertile en distinctions que les scolastiques les plus raffinés : agreable prédicateur, un peu pesant dans son style ; mais il imposait par la taille, et par le son de la voix. Il avait été jacobin, et s’était marié comme les autres, et même, pour ainsi parler, plus que les autres, puisque sa femme étant morte, il passa à un second et à un troisième mariage. Les saints pères ne recevaient pas au sacerdoce ceux qui avaient été mariés deux fois étant laïques. Celui ci prêtre et religieux se marie trois fois sans scrupule durant son nouveau ministère. C’était une recommandation dans le parti, et on aimait à confondre par ces exemples hardis les observances superstitieuses de l’ancienne église. Ce que M. de Meaux observe, qu’en ce temps-là le mariage était une recommandation dans le parti, n’est pas entièrement faux ; car il est certain qu’un ecclésiastique converti, qui ne se serait point marié, eût fait naître des soupçons qu’il n’avait pas renoncé au dogme de la loi du célibat. Je crois que Bucer insinua cette raison à Calvin, lorsqu’il le pressa de se marier [3]. Sanderus conte que les visiteurs établis en Angleterre sous Édouard VI exhortaient les ecclésiastiques au mariage comme à une marque certaine de l’abjuration du papisme. « Ils s’informaient encore avec grand soin de la continence des pasteurs. Ils avaient même l’impudence de leur demander publiquement, comment, avec de la santé et de la jeunesse, ils avaient pu garder leur chasteté ? s’ils en avaient le don, et quelle certitude ils avaient de la pouvoir conserver à l’avenir ? Ils leur conseillaient donc de se marier, de peur de brûler, ou de tomber en des péchés dont la seule pensée fait horreur. Enfin ils leur déclaraient franchement qu’ils tenaient pour papistes et ennemis du roi tous ceux qui préferaient un célibat dangereux à un mariage pudique et honnête ; principalement ayant devant les yeux le saint exemple de deux archevêques célèbres qui n’avaient point fait difficulté de se marier [4]. »

(F) C’est une calomnie, que de dire qu’il mourut juif, de même que ce que Sanderus raconte d’une certaine conversation. ] Le jésuite Possevin, parlant de Bucer, se servit de la parenthèse que l’on va lire : At verò Bucerus (quem morientem scribunt esse professum nondùm natum esse Messiam) sectariis latiorem viam stravit [5]. Dans un autre endroit du même livre, il avance cela comme un fait certain : Bucerus, cùm animam ageret, fassus est verum Messiam adhuc non venisse, venturum tamen [6]. Prenez garde que, selon ce jésuite, cette profession de foi fut celle que Bucer fit en mourant. Mais, pour réfuter cette fable, on n’a besoin que de Sanderus, qui n’accuse ce théologien que d’une pente secrète vers le judaïsme, et d’une confidence de libertinage faite à un homme sans religion. Voici ses paroles : vous y trouverez que Bucer mourut dans la profession d’un luthérien. « Pour Bucer, il était porté pour le judaïsme : aussi était-il descendu d’une famille juive. Il est certain que depuis sa mort, et sous le règne de Marie, le baron Paget, conseiller du roi catholique, a dit, qu’un jour il lui avait servi d’interprète chez Dudley, duc de Northumberland ; et que ce duc lui ayant demandé ce qu’il pensait de la présence réelle du corps de Jé-

  1. Sententia Delectorum per venerabile tapitulum ecclesiæ Coloniensis de Vocatione Martini Buceri, fol. 161.
  2. Histoire des Variations, liv. III, num. 3, pag. 89, 90.
  3. Voyez la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme de Maimbourg, lettre IX, pag. 155 de la troisième édition.
  4. Sander., du Schisme d’Angleterre, liv. II, pag. 253 : je me sers de la version de Maucroix.
  5. Ant. Possevinus, de Atheismis Hæreticorum, cap. VIII, pag. 23.
  6. Idem, ibid., cap. ult., pag. 58.