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BULGARUS.

d’or, à cause de la bonne grâce avec laquelle il parlait[a]. Il fut l’un des quatre professeurs[b], que Fridéric Barberousse consulta l’an 1158, pour savoir jusqu’où se devaient étendre les droits de l’empereur en Italie[c], et il fit paraître tant d’habileté dans cette consultation, que ce prince lui conféra une charge de judicature[d]. Il s’en acquitta avec beaucoup d’intégrité ; de sorte que ses sentences servirent de règles dans tous les tribunaux d’Italie, quand il s’agissait de choses douteuses. Il persuada aux habitans de Bologne de se donner à cet empereur. Il avait enseigné, que lorsqu’une femme mariée meurt avant son père, le mari est obligé de restituer la dot. Il se trouva dans le cas, et il se conforma généreusement à sa doctrine. L’un de ses disciples ne témoigna pas le même désintéressement (A) ; car étant sommé de mettre en pratique ce dogme, il déclara qu’il avait changé d’opinion. Bulgarus avait eu plusieurs enfans qui moururent tous avant lui. Il en fut très-affligé, et, pour réparer cette perte autant qu’il lui serait possible, il convola en secondes noces ; mais, au lieu de se marier avec une fille comme il l’avait cru, il choisit malheureusement une épouse qui passait pour femme. Il fit leçon le lendemain de ses noces, et il expliqua une loi qui commence par Nous entreprenons une affaire qui n’est pas nouvelle. Tous ses auditeurs appliquèrent ces paroles à l’état où ils supposèrent qu’il avait trouvé sa femme (B), et cela les fit bien rire. On ne sait pas en quelle année il mourut, ni où il fut enterré. C’est à tort que l’on débite qu’il traduisit en latin les lois grecques qui se rencontrent dans les Pandectes ; car il ignorait absolument la langue grecque. Il publia des Gloses sur le droit civil, et un excellent commentaire in regulas juris[e].

  1. Panzirol., de clar. Legum Interpret., lib. II, cap. XV, pag. 127.
  2. En jurisprudence, dans l’université de Bologne.
  3. Panzirol., lib. II, cap. XIV, pag. 124.
  4. Ob insignem quam ostendit doctrinam pro eo (Friderico Ænobarbâ) Bononia ad jus dicendum vicarius creatus fuerit. Panzirol., de clar. Legum Interpret., lib. II, cap. XV, pag. 127.
  5. Tiré de Panzirole, de Clar., Legum Interpret., lib. II, cap. XV.

(A) Il se conforma généreusement à sa doctrine.... L’un de ses disciples ne témoigna pas le même désintéressement. ] Martin Gosia, son collègue, avait soutenu le sentiment opposé : de là vient qu’on le consulta après la mort de la femme de Bulgarus. Le père de cette femme voulut savoir de ce professeur s’il serait fondé à redemander la dot de la fille. On lui répondit que son gendre s’était condamné lui-même, et que, s’il refusait la restitution, on le convaincrait honteusement d’être un mauvais interprète du droit. Le beau-père commença là-dessus ses procédures ; mais le gendre ne fit pas long-temps le rétif. Tout ceci montre qu’il se passa dans son âme quelques combats entre le désir de garder la dot, et la crainte des reproches de démentir sa doctrine. On voit qu’il ne se pressait pas trop de mettre en pratique ce qu’il avait enseigné, car il fallut que son beau-père lui intentât un procès. Il y a beaucoup d’apparence qu’il eut quelque repentir d’avoir soutenu une opinion qui se trouva si contraire à ses intérêts, et que s’il avait prévu le préjudice qu’elle lui ferait, il aurait dogmatisé d’une autre manière. Ne lui refusons pas néanmoins la louange qui lui est due. Il aima mieux enfin perdre de l’argent, que de s’exposer