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CALVIN.

toyens, de n’avoir souhaité de rentrer en leurs maisons, et dans leur ville, par l’ouverture d’une calamité publique ; parce qu’il valait mieux que deux personnes privées fussent injustement punies d’une peine particulière, que tout un peuple ruiné d’une guerre civile : pareillement celui qui n’a pas le cœur et l’affection d’un homme reconnaissant, qui souhaite voir en extrême nécessité une personne qui autrefois lui a fait des biens, afin qu’il le puisse après racheter de cette calamité. Car, jaçoit que sa pensée soit bonne, toutefois ses vœux et ses souhaits sont méchans. C’est un pauvre secours, et une bien petite gloire, d’avoir éteint un feu que tu avais expressément allumé[1]. Sénèque avait déjà exprimé fort noblement par d’autres exemples cette dernière pensée ; cela, afin de prouver que l’on est ingrat si l’on souhaite que son bienfaiteur ait besoin de notre assistance[2]. Quis pium dicet Æneam, si patriam capi voluerit, ut captivitate patrem eripiat ? Quis Siculos juvenes, ut bona liberis exempla monstrarent, si optaverunt, ut Ætna immensâ ignium vi supra solitum ardens et incensa prœcipitet, datura ipsis occasionem exhibendœ pietatis, ex medio parentibus incendio raptis ? Nihil debet Scipioni Roma, Si punicum bellum ut finiret, aluit : nihil Decüs, quòd morte patriam servaverunt, Si priùs optaverant, ut devotioni fortissimæ locum ultima rerum necessitas faceret. Gravissima infamia est medici, opus quœere. Multi quos auxerant morbos, et incitaverant, ut majore gloriâ sanarent : non potuerunt discutere, aut cum magnâ miserorum vexatione vicerunt[3]. C’est à dire, « qui pourrait croire qu’Énée eût aucun sentiment de piété dans son âme, s’il souhaitait que la ville fût prise, pour avoir l’honneur de sauver son père d’entre les mains des ennemis ? Ou les jeunes hommes siciliens, si, pour servir d’un exemple de vertu à la postérité, ils avaient souhaité que le mont Gibel jetât à l’impourvu une abondance de flammes plus grande que de coutume, qui leur donnât occasion de faire connaître leur amour et leur piété, en sauvant leurs pères, et les portant sur leurs épaules au milieu de cet embrasement ? Rome ne serait redevable d’aucune chose à Scipion, s’il avait désiré que la guerre de Carthage durât longuement, afin que ce fût lui seul, qui eût l’honneur de l’avoir mise à fin. Rome ne devrait rien aux Déciens, d’avoir sauvé leur patrie par leur mort, s’ils avaient auparavant désiré que l’extrême danger, où Rome se vit réduite, leur donnât occasion de vouer courageusement leur vie aux dieux, pour le bien de tout le peuple romain. C’est une grande honte à un médecin, de souhaiter d’avoir besogne. Plusieurs, qui avaient fait croître et empirer les maladies, afin qu’ils eussent plus d’honneur de les guérir, n’ont pu après en venir à bout, ou s’ils l’ont fait, c’a été après avoir misérablement tourmenté les malades[4]. »

On trouve dans Démosthène un Callistrate qui était en exil à Méthone dans la Macédoine, et que les Athéniens avaient condamné deux fois à la mort, et qui avait une fille mariée à Timomachus, habitant de l’île de Thase[5]. C’est apparemment le même que celui dont il s’agit dans cet article : Juste Lipse n’en doute point[6].

  1. Sénèque, des Bienfaits, folio 67 verso de la version de Chalvet, imprimée à Paris, en 1637, in-folio.
  2. Qui optat amico aliquam necessitatem, quam adjutorio fideque discutiat : quod est ingrati, se illi prœfert, et tanti œstimat illum miserum esse ut ipse gratus sit, ob hoc ipsum ingratus. Seneca, de Beneficiis, lib. VI, cap. XXXIV, pag. 132.
  3. Idem, ibid., cap. XXXVI, pag. 134.
  4. Sénèque, des Bienfaits, de la version de Chalvet, folio 67. Ceci peut confirmer les objections des manichéens, dont je parle dans la remarque (E) de l’article d’Origène, num. IV, et dans la remarque (E) de l’article Pauliciens.
  5. Voyez Démosthène, Orat. advers. Polyclem, pag. m. 712.
  6. Lipsius, in Senecam de Beneficiis, lib. VI, cap. XXXVII.

CALVIN (Jean), l’un des principaux réformateurs de l’Église au XVIe. siècle, naquit à Noyon en Picardie, le 10 de juillet 1509. Comme on le destinait à l’é-