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CORCÉONE.

de quelle religion était Corbinelli : c’était une religion politique à la Florentine ; mais il était homme de bonnes mœurs[1]. Ce témoignage est de grand poids pour deux raisons : 1°. parce que M. de Thou était un homme grave et de probité ; 2°. parce qu’il connaissait particulièrement le sieur Corbinelli. Voyons ce qu’il en avait déjà dit : J’ai fort connu le sieur Corbinelli Florentin. C’était un fort bel esprit. Il était très-capable des affaires du monde, et y avait un merveilleux jugement. Il épousa une Anglaise, dont il a eu des filles qui sont encore à la cour, au service de quelques dames. La comtesse de Fiesque en a une. Il avait peu de moyens, mais il vivait avec un tel ménage, et était si nettement et proprement habillé que rien plus. Il était grand ami de l’abbé d’Elbène[2].

(H) Le maréchal de Bassompierre s’est emporté contre lui. ] C’est au sujet du passage de Dupleix que j’ai rapporté ci-dessus. Voici comment ce maréchal le critique[3] : Il n’y a rien de plus froid et de plus impertinent que tout ce chapitre : il n’y avait point d’autres bons Français à nommer, sans alléguer ce banni de Florence pour trahison ? La belle invention de porter ses avis dans sa main, qui étaient fort importans, puisque celui qu’il décrit par excellence était son venez, venez, venez ! le roi eût été bien fin de s’embarquer sur cet avis. L’histoire de France a bien affaire d’être remplie de l’extraction de ce Corbinelli ? Et ce devrait être quelque homme de bien, d’être de la conspiration de tuer son prince avec le chef Pandolfo Puccio, qui fut pendu en un croc pour son forfait, et ce aux fenêtres du palais ! Remarquez bien que cette conspiration, quelque atroce qu’elle ait pu être, ne réfute point ce que d’autres disent des bonnes mœurs de Corbinelli. Les conspirations d’état sont les plus grands crimes qu’on puisse commettre, et néanmoins il y a des gens qui s’y laissent entraîner par des motifs qu’ils croient très-bons moralement parlant : tant il est vrai que la conscience de l’homme est sujette aux illusions les plus déplorables. Brutus, et plusieurs de ceux qu’il engagea à l’assassinat de César, étaient des gens dont la vertu et les bonnes mœurs étaient éclatantes.

  1. Voyez Thuana, pag. m. 35.
  2. Là même, pag. 30.
  3. Remarques sur les Vies de Henri IV et Louis XIII de Dupleix, pag. 11.

CORCÉONE (Robert de), cardinal du titre de Saint-Étienne, au mont Célius, était Anglais. On parle de lui dans le Dictionnaire de Moréri[a] ; mais on n’y fait point mention de ce que je m’en vais dire. Ayant été envoyé en France par le pape Innocent III, pour les affaires de la croisade, tant contre les Albigeois que contre les Sarrasins, il célébra un concile l’an 1212 à Paris, et y fit faire de bons règlemens pour la correction des mœurs. Il défendit aux ecclésiastiques séculiers de s’engager par serment à ne pas prêter des livres, ou des maisons, ou d’autres choses, et à ne rien emprunter, et à n’être point caution. Il défendit aux réguliers des engager par serment à ne pas prêter des livres, bien entendu qu’ils prendraient leurs précautions pour l’indemnité, ou pour la restitution. Il leur ordonna aussi de ne point coucher deux à deux (A), et il fit la même défense aux religieuses, afin d’éviter, disait-il, les dangers de l’incontinence. Il célébra d’autres conciles, il établit des prédicateurs de la croisade, et il tourmenta beaucoup les hérétiques ; mais il fit paraître tant d’aigreur contre le clergé, et tant de facilité à donner la croix à toutes sortes de gens, que l’on en porta des plaintes à la cour de Rome. Il se rendit

  1. Sous le mot Curson.