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ÉSOPE.

objectât une telle chose contre les fables des poëtes.

(M) Sénèque.…… pose en fait que les Romains n’avaient point essayé leur plume sur cette sorte de compositions. ] Voici ce que dit Sénèque : Non audeo te usque eò producere ut fabellas quoquue et Æsopeos logos, intentatum Romanis ingeniis opus, solitâ tibi venustate connectas [1]. Lorsque Sénèque parlait ainsi, n’avait-on point vu à Rome les fables de Phèdre, qui sont un ouvrage incomparable ? Lipse répond à cette question que Phèdre n’était point Romain, et que Sénèque parle seulement des esprits romains, Romanis ingeniis. J’ai de la peine à croire que Lipse, habile homme autant qu’il l’était, se soit payé d’une si méchante raison. Est-ce que les comédies de Térence, né en Afrique, ne passaient point pour la production d’un auteur romain ? Pourquoi les fables de Phèdre, ne dans la Thrace, et affranchi d’un empereur, n’auraient-elles pas le même sort ? Il est sûr que Sénèque oppose la langue latine à la langue grecque : il veut donc dire qu’il n’y avait encore que des livres grecs sur la matière des apologues. Dirons-nous que Phèdre ne publia point lui-même ses fables, et qu’ainsi elles pouvaient être encore un manuscrit particulier du temps de Sénèque ? Cela n’est ni vraisemblable, ni compatible avec tous les préambules de l’auteur. Il faut donc dire que Sénèque avait oublié qu’il y eût un livre au monde qui s’appelât les fables de Phèdre. Des gens aussi habiles que lui ont été sujets, dans ces derniers siècles, à de semblables mensonges.

(N) Il a été mis au nombre des personnes ressuscitées. ] Ptolomée, fils d’Hephæstion, en parlait peut-être amplement : nous n’en savons aujourd’hui que ces deux lignes : De Aïrwrroc avaipeñeic ro Asr.qov aveGiwoe, nas uv euanoe Toic “EAAnS ep Ocpuorüanc. Comme Esope, tué par les habitans de Delphes, ressuscita, et combattit avec les Grecs au passage des Thermopyles [2]. Si je ne me trompe, c’était le titre d’un chapitre, dans l’ouvrage dont Photius nous a conservé quelques extraits, et il ne ressemblait pas à un chapitre de la chronique des anciens preux. Scaliger [3], ayant cité les paroles grecques qu’on vient de lire, s’écrie fort justement : nugæ Græculorum ; mais je n’entends pas ce qu’il avait dit avant que de les citer, Vugatur Græculus Alexander apud Photium 252. Il me semble qu’il en veut à un certain Alexandre, qui avait fait un recueil de choses extraordinaires [4]. Mais outre que Photius le place sous lc numéro 189, il ne nous dit point que cet auteur ait parlé d’Ésope. Si l’on en croit un auteur du XVI. siècle, Platon le comique avait parlé de cette résurrection [5]. Disons plutôt, si l’on en croit Suidas [6].

(O) La Vie d’Ésope, composée par Méziriac. On en verra..... quelques extraits. ] C’est un petit livre imprimé à Bourg en Bresse, l’an 1632. Il ne contient que 40 pages, in-16. Il est devenu extrêmement rare. M. Simon de Valhebert [7], bibliothécaire de M. l’abbé Bignon, a eu la bonté de m’envoyer son exemplaire. Voici ce que, j’en tire. Il est plus probable qu’Ésope était né à Cotiœum, bourg de la Phrygie, qu’il n’est probable qu’il naquit à Sardis, ou à l’ile de Samos, ou à Mésambrie dans la Thrace. Le premier maître qu’il servit fut un certain Zémarchus, ou Démarchus, surnommé Carasius, natif et habitant d’Athènes [8]. Il y a donc de l’apparence que ce fut là qu’il apprit la pureté de la langue grecque comme en sa source, et acquit la connaissance de la philosophie morale, qui pour lors était en estime... Par succession de temps, il fut vendu à Xanthus, natif de l’île de Samos, et du

  1. Seneca, de Consol. ad Polybium, cap. XXVII.
  2. Photius, in Biblioth., num. 190, pag. 489.
  3. Scalig., Auimadv. in Eusebium, num. 1453, pag. 93.
  4. Θαυμασίων συναγωγὴ, Admirabilium collectio. Photius, num. 189, pag. 468.
  5. Porrò ex Græcis sunt qui Æsopum hunc revixisse fabulentur, quod comicus item Plato, significavit. Cœl. Rhodiginus, lib. XV, cap. XXVI, pag. m. 824.
  6. In Ἀναϐιῶναι. Voyez là-dessus une note de François Portus, qui contient un passage ge du scoliaste d’Aristophane.
  7. Voyez l’épître dédicatoire des Origines de la langue française de M. Ménage, à l’edit. in-folio, 1694.
  8. Méziriac, ex Aphthonio.