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FRANÇOIS Ier.

vité de Soliman, ni de celle de François Ier. Le grand-seigneur se serait bien contenté des formules ordinaires : il était trop habile homme, pour ne savoir pas qu’il lui serait avantageux d’avoir un tel allié.

On m’objectera peut-être que c’est la coutume des sectateurs de Mahomet de prescrire cette forme de serment, et j’avoue que l’on reprocha aux Vénitiens d’en avoir prêté un semblable en la personne du bâtard de Chypre. Mais cela ne servirait tout au plus qu’à éluder l’observation accessoire que je viens de proposer en passant. C’est d’ailleurs une question si les Vénitiens acquiescèrent au formulaire, et s’il est possible d’en donner de bonnes preuves. Quoi qu’il en soit, comme l’ouvrage où on leur fit ce reproche pendant qu’ils étaient en guerre avec Louis XII est assez rare, je mettrai ici la teneur de ce serment. « Ledit bastard feit un horrible, execrable et tresdamnable serment audit souldan : lequel depuis fut translaté de langue arabique en latin, et apporté au pape Pie par aucuns chevaliers de Rhodes, pour laquelle cause il ne voulut onques recevoir les ambassadeurs dudit Jacques comme ambassadeurs du roy chrestien : ainçois le leur reprocha bien asprement. Puis donques que les Vénitiens s’en font heritiers, n’est il pas nécessaire qu’ils fassent le semblable serment que ledit Jaques feit en la maniere qui s’ensuit ?

« Premierement il invoqua le nom de Dieu tout puissant par quarante fois, et puis dit ainsi : Par le grand Dieu haut misericordieux et benin, formateur du ciel et de la terre, et de toutes choses qui sont en elles : et par ces saints Evangiles : par le saint baptesme : par saint Jean Baptiste, et tous les saints : et par la foy des chrestiens : Je promets et jure que toutes les choses que je sauray seront descouvertes à mon souverain seigneur Alleseraph Asnal, souldan d’Egypte et empereur de toute Arabie, duquel Dieu vueille fortifier le royaume, et que je seray amy de ses amis, et ennemy de ses ennemis, je ne luy celeray rien. Et ne souffriray nulz coursaires en mon royaume : ny ne leur bailleray vivres ne ayde. Tous les Égyptiens qui sont esclaves en mon regne, je les racheteray et mettray à pleine liberté : j’offriray tous les ans le premier jour du moys d’octobre ou de novembre, en forme de tribut aux souverains temples de Hierusalem et de Lameca, la somme de cinq-mille ducatz d’or : je garderay que les Rhodiens ne baillent nulles armes aux pirates. Tout ce qui surviendra de nouveau digne d’estre sceu, je le feray asavoir au souldan en juste verité sans fraude nulle. Et si je faux en aucune des choses dessusdites, je seray apostat de la foy chrestienne et des commandemens des saints Évangiles : je nierai que Jesus-Christ vive, et que sa mere fust vierge : je tueray sur les fons de baptesme un camel : et maudiray les prestres de l’église : je renieray la divinité : et adoreray l’humanité : je feray fornication sur le grand autel auecques une Juive : et recevray sur moy toutes les maledictions des saints peres. Marc Corrario Venitien, duquel depuis ledit roy bastard espousa sa fille à sa male santé, n’estoit il point present à voir faire ledit serment et hommage ? dont sans nulle faute il est vraysemblable, quilz tiennent Cypre à mesmes conditions, puis quilz ont usurpé le titre[1]. »

(K) Il courut un mensonge….. touchant une…… invention de recouvrer les otages que François Ier. avait donnés. ] François Ier. en sortant de sa prison livra ses deux fils aux Espagnols : il ne pouvait les retirer que sous une condition qui lui était désavantageuse, car on les voulait retenir jusques à ce que le traité de Madrid fût exécuté. Il y eut des gens, ou assez sots, ou assez malins, pour répandre dans le monde qu’il faisait venir un magicien allemand, qui transporterait d’Espagne en France les deux otages, sans que personne s’en aperçût, et qui ferait une infinité d’autres miracles. Vous trouverez cette sottise dans une lettre d’Agrippa ; car c’est lui qui a écrit cette lettre, encore que le titre porte, dans l’édition in-8., Amicus ad Agrippam. C’est une transposition des mots : il faut

  1. Jean le Maire de Belges, Légende des Vénitiens, pag. 75, édition de Lyon, 1549.