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FRANÇOISE.

ses paroles [1] : « Lautrec et Navarre, avec l’élite de l’armée française, laissèrent Genève [2] à main gauche, passèrent à gué la rivière de la Durance, et s’’engagèrent dans les Argentaires [3] par un endroit appelé Gillestre : ils pénétrèrent de là jusqu’au rocher Saint-Paul, qu’il fallut ouvrir avec le fer et le feu. Les deux jours suivans les pionniers furent la plupart inutiles ; car comme il n’y avait plus de montagne qui ne fût séparée de l’autre par des abîmes, la mine et la sape ne furent plus d’usage, et l’on eut recours aux ponts de communication pour transporter l’artillerie. Les soldats et les pionniers la traînaient dans des lieux inaccessibles aux bêtes de somme ; ils remplissaient de fascines les endroits qui pouvaient être comblés ; et si ces endroits étaient trop larges, on suppléait au vuide par des étais et de gros arbres. On arriva de cette sorte au mont de Pied-de-Porc, que l’on désespérait de percer, parce qu’il n’était composé que d’une seule roche vive, escarpée de tous côtés : mais Navarre, qui le sonda partout, découvrit une veine plus tendre que les autres ; et la suivit si précisément, qu’il se fit voie par le milieu. Ainsi par l’industrie des ingénieurs, par le travail des soldats, et par la persévérance des chefs, l’armée française arriva sur le déclin du huitième jour dans le marquisat de Saluces [* 1]. » Mais quelque bonne que puisse être cette description, on la trouvera froide et insipide si on la compare avec celle de Paul Jove [4]. Il y a une différence notable entre lui et Varillas. Ce dernier ne fait aucune mention de Trivulce, à qui Paul Jove donne la gloire d’avoir découvert ce nouveau chemin, et d’avoir été le principal directeur de l’exécution.

(EE) Il me reste quelque chose à dire sur le prétendu serment.... au grand-turc. ] On a vu [5] ce que Jean le Maire de Belges a reproché aux Vénitiens. J’ajoute que les Sarrasins qui eurent le roi saint Louis en leur puissance lui proposèrent un formulaire de serment beaucoup plus court que celui que on suppose que le bâtard de Chypre ne fit pas difficulté de prêter, et qui est le même que celui que l’on prétend que François Ier. prêta. Il est visible que l’un a été copié sur l’autre ; mais saint Louis ne voulut point se soumettre à cette dure condition.

  1. (*) Dans la relation du passage, envoyée à la mère du roi, par le comte de Morette.
  1. Varillas, Hist. de François Ier., liv. I, pag. 43, édit. de la Haye, 1690.
  2. Il fallait dire le mont Genèvre.
  3. Il fallait dire le col de l’Argentière.
  4. Jovius, Hist. sui temp., lib. XV, fol. m. 301 et sequent.
  5. Dans la rem. (I).

FRANÇOISE, dame pieuse qui fut canonisée, l’an 1608, naquit à Rome, environ l’an 1334. Elle fit voir dès l’enfance que son cœur s’était tourné du côte du ciel, car elle aimait l’oraison et la solitude, et abhorrait les plaisirs et les divertissemens de cet âge-là. Étant parvenue à la onzième année de sa vie, elle forma le dessein de se faire religieuse ; mais son père n’y consentit pas, et la maria avec un riche gentilhomme [a]. L’esprit de retraite et d’oraison ne la quitta point dans ce changement d’état : elle donnait à cela tout le temps qui lui restait après avoir pris le soin nécessaire de son domestique. Elle n’allait ni aux spectacles, ni aux festins, ni aux maisons où l’on célébrait des noces ; elle ne faisait pas même de visite à ses parens : tout son plaisir était d’aller aux églises, et aux hôpitaux. Elle retira de la vie séculière un bon nombre de filles, et leur fonda un couvent dans Rome, sous la règle de saint Benoît. On les nomma les oblates, et elles furent de la congrégation des olivetains. Ayant perdu son mari, elle demanda le plus humblement du

  1. Nommé Laurent Pontiant.