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MAHOMET II.

fluences des astres ? Mais cela n’est bon à dire que dans un sonnet : elles ne peuvent rien ici, à moins qu’elles ne soient dirigées par un principe intelligent ; et c’est ce qu’ils n’admettent pas. Ils diront que c’est un malheur, si un homme qui achète deux cents billets de loterie sur trois mille n’emporte aucun lot ; et que c’est un bonheur si un homme qui n’achète que trois billets sur cent mille a le gros lot : mais ils soutiendront que cela se fait sans la direction d’une intelligence, et par une suite nécessaire du mélange des billets. En effet, quand même il n’y aurait point de Providence, il faudrait nécessairement que quelqu’un eût le gros lot, celui-ci plutôt que cent autres : mais ils ne peuvent point avouer selon leur système, que certains hommes auraient toujours le gros lot, en n’achetant que peu de billets ; et que d’autres qui en achèteraient un grand nombre, ne gagneraient jamais rien ; car cela témoignerait clairement la direction de quelque génie ami ou ennemi. Voilà pourquoi ils ne peuvent point admettre la distinction, proprement dite, de gens malheureux et de gens heureux [1]. En un mot, pour revenir à Mahomet, s’il a reconnu la divinité de la fortune, il n’a été ni athée, ni épicurien.

(G) Il eut de la tolérance pour l’église grecque, et beaucoup de civilité pour le patriarche de Constantinople. ] Je m’assure que mon lecteur sera bien aise de trouver ici un petit détail, sur un fait aussi curieux que celui-là. Je me servirai des paroles du père Maimbourg, qui ayant décrit la prise de Constantinople, et l’entrée triomphale de Mahomet dans cette ville, continue ainsi [2] : « Après cela, comme il était extrêmement adroit, ne voulant pas perdre avec les chrétiens les principales forces, et le plus grand revenu de son nouvel empire, il fit un trait de très-habile politique, pour les rassurer, en leur faisant voir qu’il les voulait traiter très-favorablement en bon maître, et leur laisser l’exercice libre de leur religion. Car ayant appris [* 1] que le siége patriarcal était vacant, par la renonciation volontaire de Grégoire Protosyncelle, qui s’était retiré à Rome, il voulut qu’il y en eût un : et pour agir aussi d’abord en empereur, il ordonna qu’il se fît à la manière accoutumée sous les derniers princes.... Il fit assembler quelques évêques qui se trouvèrent alors aux environs de Constantinople, avec si peu d’ecclésiastiques qui y étaient restés, et les principaux d’entre les bourgeois : ceux-ci élurent, selon ses ordres, le célèbre sénateur [* 2] George Scholarius, celui-là même qui s’était déclaré si hautement pour la foi catholique au concile de Florence, et que Mahomet, qui aimait les habiles gens, avait épargné, quand il fit mourir tant de personnes de qualité, ayant su que c’était le plus savant et le plus éloquent de tous les Grecs. Il fut donc choisi, sous le nom de Gennadius ; et le sultan voulut observer en cette occasion toutes les mêmes cérémonies que les empereurs de Constantinople gardaient, en installant le patriarche en cette manière [3]... Aussitôt qu’il eut fait élire Gennadius, on le conduisit par son ordre en grande pompe au palais, où il le reçut avec toute sorte d’honneurs et de témoignages de bienveillance, le faisant même manger à sa table, s’entretenant long-temps avec lui comme s’il eût été le plus intime de ses confidens. Après quoi l’ayant mené dans la grand’salle, il lui mit en cérémonie le bâton pastoral entre les mains, en présence des Turcs et des chrétiens accourus à un spectacle aussi surprenant que celui où l’on voit le sultan des Turcs, ennemi mortel du christianisme, donner l’investiture du patriarcat de Constantinople, par la crosse. Il fit plus, car quoique le nouveau patriarche fît tout ce qu’il pût pour s’y opposer, allé-

  1. (*) Phranz., lib. 3, c. 19.
  2. (*) Phranz., lib. cit. Leo Allat., de perp. consen., l. 3, c. 5, 6.
  1. Voyez, sur tout ceci, les remarques de l’article Timoléon, tom. XIV.
  2. Mainbourg, Histoire du Schisme des Grecs, pag. 358 et suiv.
  3. Maimbourg, Histoire du Schisme des Grecs, pag. 361, 362.