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MAHOMET II.

de patriarche, à entretenir une espèce de société familière avec les patriarches Gennadius et Maxime, à autoriser de temps en temps l’exercice de leur religion par des lettres patentes, ou par les règlemens de ses cadis, et à peupler Constantinople des familles chrétiennes qu’il tirait de chaque ville grecque, à mesure que ses armes l’en rendaient maître. Il ne faut que considérer l’état présent de la Grèce, où ses successeurs ont souffert l’exercice du christianisme, selon la liberté qu’il en donna quand il en fit la conquête. On montre encore aujourd’hui dans les plus célèbres monastères du pays, les sauve-gardes et les titres d’exemptions qu’il accorda généreusement aux calogers. Il ne défendit point aux Grecs la vénération des images sans relief, qui leur est encore continuée contre les termes formels de ce vœu, et eut la même tolérance pour les images en relief, révérées par les Génois de l’église romaine établis à Galata, et par les Albanais du même rit, qui avaient été sujets de Scanderbeg. Les historiens latins ont encore écrit, qu’autant de fois que Mahomet faisait rencontre d’un chrétien, il [* 1] se croyait souillé d’une tache spirituelle, et courait incontinent aux ablutions de l’Alcoran, en se lavant les yeux et la bouche : mais cela étant, il avait bien de ces sortes de purifications à faire, quand à la tête de son armée il en rencontrait une de cinquante ou soixante mille chrétiens [1]. »

(I) On dit qu'.... il coupa la tête à une maîtresse qu’il aimait éperdument. ] Elle s’appelait Irène, et n’avait que dix-sept ans [2]. Un bacha l’avait faite esclave à la prise de Constantinople, et donnée au sultan [3]. Vous trouverez dans M. Guillet les circonstances de cette aventure : mais comme il remarque [4] que tous ceux qui en ont parlé, l’ont copiée de Bandelli [5], moine italien qui semble en avoir ôté toute créance, par les fautes qu’il y a faites contre l’ordre des temps, et contre les noms et le rang des personnes qu’il y introduit, je ne la tiens pas fort certaine. M. de Scudéri, qui avait fait tant de harangues sous le nom des dames illustres, fit des discours politiques sous le nom des rois. L’un de ces discours est la réponse prétendue de notre sultan aux murmures de son armée, le jour qu’il décapita cette belle fille.

(K) La plupart des historiens chrétiens... ont sacrifié la bonne foi à leur passion et à leur ressentiment. ] M. Guillet ayant observé que les nations occidentales ont donné à ce sultan la qualité de Grand Seigneur, ou de Grand Turc, ajoute tout aussitôt [6] : « Il est vrai que ce favorable témoignage de nos peuples a été contredit par la plupart des historiens d’occident qui écrivaient de son temps ; car il n’y a point d’opprobres ni de titres outrageux dont leur plume n’ait voulu ternir ce prince. À la vérité, il faut louer leur zèle pour la religion chrétienne, quand selon l’occasion ils se sont emportés contre les impiétés de Mahomet ; mais aussi, selon l’occasion, devaient-ils publier ce qu’il a eu de qualités louables. C’est le juste tempérament qu’ont su garder Philippe de Comines, Chalcondile, et la lettre du pape Pie II, qui ont parlé de ce prince pendant sa vie, en se dépouillant des préjugés vulgaires, et avec les sages réserves qu’il faut toujours avoir pour les têtes couronnées. Car enfin, de tout temps, un usage peu honnête a banni la modération, qui devrait régner entre les écrivains de diverses religions et de différens partis, et leur a suggéré l’invective et l’animosité ; comme si la justice et la raison avaient besoin d’un secours si bas et si honteux. Aussi faut-il avouer que si de toutes les injures publiées en ce temps-là contre Mahomet, on

  1. (*) Isidor. Rhuten.
  1. Guillet, Histoire de Mahomet II, liv. VI, pag. 164 et suiv.
  2. Guillet, Histoire de Mahomet II, liv. III, pag. 293, à l’ann. 1455.
  3. Là même.
  4. Là même, pag. 299.
  5. C’est Bandel (Mathieu), dont j’ai donné l’article, tom. III, pag. 80.
  6. Guillet, Histoire de Mahomet II, liv. I, pag. 9.