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MALHERBE.

perdre les belles lumières de leur philosophe Confucius. Mais d’autres, qui ont étudié ces matières avec plus de soin, comme votre père Longobardi, soutiennent que ce philosophe a dit de belles choses touchant la morale et la politique ; mais qu’à l’égard du vrai Dieu et de sa loi, il a été aussi aveugle que les autres [1].

Concluons que notre Jean Maldonat ne méritait point la censure qu’Étienne Pasquier a insérée dans son Plaidoyer contre les jésuites. Aucun lecteur n’en pourra douter.

Je suis fâché que M. de Saint-Évremond, que admire et que j’honore autant que personne du monde, ait un sentiment contraire à le méthode de Maldonat, et qu’il me faille préférer à son opinion celle de l’écrivain anonyme qui l’a critiqué. « Laissons la théologie toute entière à nos supérieurs, dit-il [2], et suivons avec respect ceux qui ont le soin de nous conduire. Ce n’est pas que nos docteurs ne soient les premiers à ruiner cette déférence, et qu’ils ne contribuent à donner des curiosités qui mènent insensiblement à l’erreur : il n’y a rien de si bien établi chez les nations, qu’ils ne soumettent à l’extravagance du raisonnement. On brûle un homme assez malheureux pour ne croire pas en Dieu, et cependant on demande publiquement dans les écoles s’il y en a. Par-là vous ébranlez les esprits faibles, vous jetez le soupçon dans les défians ; par-là vous armez les furieux, et leur permettez de chercher des raisons pernicieuses, dont ils combattent leurs propres sentimens, et les véritables impressions de la nature. » Voyons la remarque de son censeur : [3] Quand les théologiens demandent s’il y a un Dieu, ce n’est pas pour douter de son existence, mais pour en donner des preuves certaines, et pour confondre les athées, comme la médecine donne la connaissance des poisons pour guérir ceux qui en sont infectés [4]... Il traite d’imprudens et de scandaleux tous les docteurs, et saint Thomas même, qui, au commencement de sa Somme, question 2, article 3, demande expressément s’il y a un Dieu. Que M. de S. E. se puisse figurer que l’on prenne son parti contre tant de théologiens éclairés qui traitent cette question dans toutes les plus fameuses universités, depuis un si grand nombre d’années, à la vue de toute l’église, c’est ce qu’il ne peut se promettre, et nous manquerions, etc.

  1. Arnauld, cinquième Dénonciation du Péché philosophique, pag. 35. Voyez aussi le père le Gobien, dans la préface de l’Histoire de l’Édit de l’empereur de la Chine, et, tom. XIII, la remarque (A) de l’article Sommonacodom.
  2. Saint-Évrenond, Jugement sur les Sciences, pag. 200 du Ier. tome de ses Œuvres, édition de Hollande, 1693.
  3. Dissertation sur les Œuvres mêlées de M. de Saint Évremond, pag. 216, édit. de Paris 1698.
  4. Ibidem, pag. 308.

MALHERBE (François de), le meilleur poëte français de son temps [* 1], naquit à Caen environ l’an 1555, et mourut à Paris, l’an 1628. Je n’en dirai pas beaucoup de choses. M. Moréri en a dit assez pour la plupart des lecteurs ; et ceux qui en souhaitaient davantage pourront aisément se satisfaire dans les livres qu’on trouve partout [a]. Je ne sais sur quoi M. Moréri se pouvait fonder, lorsqu’il a dit, que Malherbe s’exprimait de très-mauvaise grâce : mais Racan témoigne le contraire (A). Il nous apprend une chose qui con-

  1. * Joly donne dans ses Remarques une longue lettre qu’il écrivit à l’abbé Granet sur la Vie de Malherbe, qu’il ne croit pas de Racan, du moins telle qu’elle est imprimée. Il s’appuie sur la manière dont Bayle lui-même en parle dans la remarque (E) de l’article des Loges, tom. IX pag. 295. Cette Vie de Malherbe a été réimprimée dans la première partie du tome II des Mémoires de littérature, par M. de S. (Sallengre) : on l’y donne comme étant de Racan. Cependant on lit dans la seconde édition de la Biblioth. historique de la France, n°. 47506 : « Racan n’a pas fait proprement une vie de Malherbe, mais un petit ouvrage intitulé : les Faits et Dits de Malherbe. »
  1. La Vie de Malherbe, par Racan, imprimée à Paris l’an 1672. Les Entretiens de Balzac, recueil des plus belles pièces des poëtes français, réimprimé en Hollande, 1692, tom. II, pag. 215.