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MARCELLIN.

pour voir qu’un ecclésiastique, qui s’érige en délateur auprès des princes, comme faisait cet évêque d’Alexandrie, apud patulas aures Constantii multos exindè incusans ut ejus recalcitrantes imperiis, déshonore son caractère ? Voilà les plus fortes preuves de Chifflet pour le prétendu christianisme de Marcellin. Mais si cet historien a été privé du bonheur qu’on lui attribue, il a du moins la gloire d’avoir parlé fort honnêtement d’une religion qu’il ne suivait pas. Il y a peu d’exemples d’une telle modération. Le père Possevin, qui ne s’en est pas contenté [1], me semble trop délicat ; et il ne faut pas craindre que notre postérité dispute touchant la religion de ceux qui écrivent aujourd’hui l’histoire [2]. J’avoue que Marcellin écrivait sous des empereurs chrétiens : mais cette raison n’a pas mis des bornes à la malignité d’un Libanius et d’un Zosime.

(C) On ne sait pas s’il monta jamais plus haut. ] Moréri a donc dit un peu trop légèrement, que Marcellin travailla à son histoire après avoir passé par les plus honorables charges de la milice. Il a copié cela de la Mothe-le-Vayer [3].

(D) Son histoire. ] Cet ouvrage comprenait, en XXXI livres, ce qui s’était passé depuis Nerva jusqu’a la mort de Valeus [4]. On a perdu les XIII premiers, qui l’avaient mené jusqu’à l’empire de Constantius, (car il s’étendait moins sur les temps qu’il ne connaissait que par les lumières d’autrui) les XVIII qui nous restent ont été fort maltraités, soit par l’ignorance des copistes, soit par la témérité des critiques. Notez que Claude Chifflet soutient sur d’assez bonnes raisons, que cette histoire comprenait XXXII livres, et qu’il y a eu un livre entre le XXXe. et celui que nous comptons aujourd’hui pour le XXXIe., qui est certainement le dernier de tous. Il avait ouï dire qu’on trouvait dans la bibliothéque du cardinal Polus les premiers livres qui nous manquent de Marcellin. M. de Marolles publia une traduction française de cet historien, l’an 1672, avec des remarques. La charge était pesante pour lui.

M. de Valois l’aîné dit [5] que la première édition de Marcellin est celle de Rome, 1474, qui fut dirigée par A. [6] Sabinus, poëte couronné ; que la seconde fut faite à Boulogne, l’an 1517, par P. Castellus, homme dépourvu d’esprit et de jugement ; que l’année suivante Jean Frohénius contrefit à Bâle cette édition de Boulogne ; qu’en 1533 il parut deux nouvelles éditions, l’une à Augsbourg, corrigée par Mariangelus Accurse ; l’autre à Bâle par les soins de Sigismond Gélénius [7] ; que l’édition d’Accurse fut augmentée des cinq derniers livres qui n’avaient point encore été imprimés ; que celle de Gélénius eut la même augmentation, excepté le dernier livre, et la dernière page du pénultième ; qu’en 1546, Jérôme Frobénius, qui avait imprimé l’édition de Gélénius, en donna une autre augmentée du dernier livre ; que c’est sur celle-ci qu’il semble qu’aient été faites toutes celles qui ont paru depuis en France et en Allemagne, jusqu’à ce qu’en l’an 1609, Frideric Lindenbrogius en donna une avec des notes. Cette dernière est fort bonne ; mais celle que M. de Valois publia in-4°., l’an 1636, l’est incomparablement davantage. Nous parlerons ci-dessous de celle de 1681. M. Moréri n’a point su copier la préface de M. de Valois : il y a vu bien des choses qui n’y sont point ; il y a vu qu’Accurse publia pour la première fois les cinq premiers livres de Marcellin, et que Gélénius ajouta le dernier livre avec la dernière page du trentième que nous n’avions pas. Tout cela est faux : Gelenius fit si peu cette addition, qu’au contraire c’est précisément ce qu’il publia de moins qu’Accurse ; et il est

  1. Diligenter scripsit, sed ea quæ pertinent ad Christanos traducens ac detorquens. Possev., Appar., sect. III, cap. XV.
  2. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, juillet 1684, pag. 487 de la seconde édition.
  3. Jugement sur les Histor., pag. 249 du IIIe. tome.
  4. Hæc ut miles quondàm et Græcus à principatu Cæsaris Nervæ exorsus, adusquè Valentis interitum pro virium explicari mensurâ. Amm. Marcellin., lib. XXXI, sub fin.
  5. Henricus Valesius, præfat. ad Ammianum Marcellin.
  6. Moréri remplit cet A par Aulus, mais selon Konig, il eût fallu dire Angelus.
  7. Moréri ayant vu dans M. de Valois Sig. Gélénius, a cru faussement qu’il fallait dire Sigebert.