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MARETS.

et qui contient, outre ces thèses, trois dissertations contre une partie des réponses de Sérarius. Il dédia ce livre à son adversaire, et lui représenta sagement que la doctrine des chiliastes rendait odieuse aux puissances la religion réformée : car, comme ils prétendent que la prospérité de l’église dépend de la destruction de toutes les souverainetés temporelles, ils portent les peuples à se soulever, afin de faire venir le siècle d’or du christianisme, ou le règne de mille ans. Il lui représente les séditions dont l’Angleterre fut agitée ensuite du dogme de la cinquième monarchie, et la mortification que les chiliastes avaient eue depuis peu, en voyant évanouir, par la paix de Pise, les espérances qu’ils avaient fondées sur les démêlés de la France avec le pape. L’affront fait au duc de Créqui dans Rome, l’an 1662, irrita beaucoup sa majesté très-chrétienne. On faisait passer des troupes en Italie : les âmes crédules, et surtout les millénaires, ne doutèrent point que la bête de l’Apocalypse ne dût périr ce coup-là, et ils ne purent s’abstenir de publier leurs espérances. Ainsi le traité de Pise qui, sans nulle effusion de sang, et sans aucun vrai dommage pour la cour de Rome, termina ce démêlé, fut un coup de foudre pour eux. M. des Marets ne manqua point de renouveler à son adversaire le souvenir de cette terrible mortification. Il remarque qu’on avait publié dans Londres, l’an 1656, que Rome serait détruite l’an 1666, et que le jour du jugement arriverait l’an 1711. Bien des gens s’étaient flattés que la guerre qui se préparait en France contre Alexandre VII, pour venger l’affront du duc de Créqui, ambassadeur de cette couronne, vérifierait le premier article de la prédiction. Jugez si la paix de Pise leur fut agréable. Ce qu’il dit touchant la conjonction des planètes au sagittaire est curieux : elle se fit le onzième décembre 1662. Un livre flamand assura, suivant les observations de l’astrologue Theodorus Hoen, qu’on n’avait point vu de semblable conjonction depuis celle qui se fit au signe d’Aquarius, lors du déluge de Noé [1]. Sérarius, appuyé sur cet écrit et sur un autre qui avait paru en allemand, fit une dissertation latine pour montrer que la conjonction des planètes au sagittaire, le dernier signe du trigone igné, igneæ triplicitatis, étant bien considérée avec toutes ces circonstances antécédentes et concomitantes, prédisait le prochain avénement de Jésus-Christ pour la conversion des juifs, pour la ruine du pape, et pour l’établissement de la monarchie millénaire. M. des Marets le réfute solidement, et observe que selon Alstédius, cette monarchie commencera l’an 1694, et que, selon Théodore Hoen, la conjonction au Sagittaire devait produire l’embrasement de l’univers. Il se moque de cela, et dit que le sagittaire ne peut passer pour un signe igné, qu’à cause qu’il contraint les gens à faire un grand feu chez eux pour se garantir du froid : et il remarque qu’au temps de la conjonction, il gela horriblement plusieurs semaines. Et sur ce que Sérarius disait que la conjonction qui se fit au même signe, le 9 octobre 1603, exerçait encore ses mauvais effets, des Marets lui répond fort plaisamment qu’il est bien étrange qu’elle n’ait pas déchargé encore toute sa colère, mirum est ejus virus nondùm deferbuisse. L’on ajoute que Sérarius était bon ami de Paul Felgenhawer, qui fit imprimer un livre l’an 1655 [2], où il s’attribue plus d’une fois les lumières prophétiques, et où il promet aux Juifs toutes sortes de bonnes nouvelles. Mais il ne s’accorde pas avec l’auteur d’un écrit intitulé : Judæorum excitabulum matutinum, sive judæus redux, où l’on assurait que la conversion des juifs commencerait l’an 1664, et qu’elle serait suivie bientôt de leur retour dans la Palestine, où ils vivraient le plus délicieusement du monde.

En considérant cette multitude de docteurs chrétiens qui prédisent depuis tant de siècles une grande révolution de foi, j’ai été curieux de savoir si l’on trouve de semblables gens dans les autres religions, et j’ai trouvé entre autres choses qu’il y a des mahométans qui laissent des legs à un

  1. Selon Sérarius, qui se fonde sur le même Hoen, et sur les tables des conjonctions, elle se fit dans le signe des poissons.
  2. À Amsterdam. Il est intitulé : Bonus Nuncius Israëli.