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MARIANA.

fuit, virginitatis illi decus usquè ad extremum constitisse [1]. Je m’étonne qu’Alegambe n’ait point su ce qu’on raconte du jésuite Possevin, qu’ayant à lire Tibulle à cause de sa belle latinité, il priait Dieu les genoux en terre, que les vers d’amour de ce poëte ne lui inspirassent point d’amour. M. Ménage, qui rapporte cela [2], venait d’assurer qu’il avait ouï dire au père Sirmond qu’ayant lu le jugement que faisait Photius du roman d’Achilles Statius, par lequel il paraissait que ce roman était rempli d’obscénités, ne l’avait jamais voulu lire. Je dirai à ce propos que Melchior Canus, qui n’était pas ami des jésuites, plaisanta un jour à leurs dépens à la cour du roi d’Espagne. Il assura qu’ils portaient sur eux une herbe qui amortissait de telle sorte la nature, que par l’efficace de ce simple, ils pouvaient converser impunément avec les femmes. Philippe II, ayant pris cela au sens littéral, voulut savoir ce que c’était que cette herbe ; et ayant donné ordre que l’on pressât les jésuites de la nommer, il apprit qu’elle s’appelait la crainte de Dieu. « Festivum est quod refert Nicolaüs Orlandinus libro quinto historiæ societatis Jesu. Petrus Faber et Antonius Araozius aulam Philippi secundi Hispaniarum regis adierant, et tum primùm in illud regnum societatis nomen invexerant. Quibusdam autem instar erant miraculi, quòd cum omni genere sexuque promiscuo tam versarentur innoxii. Nec dubitavit in mediâ curiâ Melchior Canus bellè jocari, patres societatis Jesu herbam quandam secum solitos circumferre, quæ vim haberet interimendæ libidinis : eaque velut antidoto tutò posse inter fœminarum versari greges, et confitentibus puellis aurem salvâ integritate præbere, etc. Ea vox, etc. sensim sparsa per curiam ad principis pervenit aures. Qui rei auditæ curiosus investigator Johannem de Zuniga (is erat ei velut morum magister ac custos) ad patres misit sciscitatum quod herbæ genus illud esset, etc. Non negavit Araosius hujus virtutis herbam se habere : et cùm Johannem aliquandiù suspensum responsi ambiguitate tennuisset ; quo majorem audiendi cupiditaten accenderet : Hæc, inquit, herba communi sermone Timor Dei nuncupatur, etc. hoc igitur principi, velim, narres, hoc fideliter referas [3]. » Jarrige ne rapporte pas fidèlement les circonstances de ce fait. Philippe II, dit-il [4], leur grand protecteur, et un prince de bel esprit, les gaussant un jour, les interrogeait comment ils pouvaient être chastes, traitant privément et avec familiarité avec toutes des belles dames de sa superbe cour. Nous avons, dirent-ils, au rapport de leur historien, une herbe que nous portions sur nous, par laquelle nous évitons les dangers de l’impureté, et résistons à toutes ses attaques. Pressés par le monarque de la nommer, ils repondirent que c’était la crainte de Dieu ; mais je vous assure que s’ils l’avaient alors, je suis bien certain que maintenant ils en ont perdu la graine, et qu’elle ne croît plus dans leur jardin.

Cette herbe de Melchior Canus me fait souvenir de ces solitaires indiens, qui pratiquent une rude pénitence toute leur vie, et qui renoncent même à la vue des personnes de l’autre sexe. Ils arment leur main d’une canne, par le moyen de laquelle ils écartent toutes les pensées impures, et toutes les tentations, comme s’il ne s’agissait que de faire fuir un chien. I Ruxis o Hiobioli abitano ne’ deserti pascendosi di foglie, e frutti salvatici, occupati quasi sempre nella mediatione de’ lordii, professano perpetua verginità, fuggendo la vista delle donne, portano una canna in mano con lo quale dicono tener lontano i diletti, tentationi, e travaglii [5].

(D) Une histoire d’Espagne, que plusieurs regardent comme un chef-

  1. Alegambe, pag. 401, col. 1.
  2. Ménage, Anti-Baillet, chap. CXLIV, citant Nicius Erythræus, dans l’Éloge de Possevin. Cet Éloge ne se trouve point dans les trois Pinacotheca d’Erythræus.
  3. Nicolaus Abramus, Commentar. in Orat. Ciceronis, tom. II, pag. 599, col. 1.
  4. Jarrige, Jésuites sur l’échafaud, chap. VI, pag. m. 65.
  5. Giornale de’ Letterati, du 31 de mars 1673, pag. 35, dans l’extrait del Viaggio all’ Indie Orientali del P. F. Vincenzo Maria di S. Caterina da Siena.