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MARIANA.

Marianam [1]. Nicolas Antonio, à certains égards, s’est tenu dans une plus grande généralité, quoiqu’il marque que les principaux ministres d’état accusèrent Mariana d’avoir censuré le gouvernement. Nec tamen, dit-il [2], vir tot meritis ad famæ immortalitatem nitens effugere voluit lævæ famæ discrimina, interpretantibus quædam ejus scripta principibus in curiâ viris tanquàm iniqua exertèque injuriosa sibi ipsis, ac publicæ administrationi. Cujus rei nomine solemniter accusatus non nisi post agitatam diù causam ægréque statui pristino fuit restitutus. Mais voici un auteur qui s’explique plus nettement : il nous assure que Mariana découvrit si bien la déprédation des finances, en montrant les voleries qui se commettaient dans la fabrique des monnaies, que le duc de Lerme, qui se reconnut là visiblement, ne put retenir son indignation. Il ne lui fut pas malaisé de pousser l’auteur, parce que le roi Philippe III était clairement censuré dans cet ouvrage, comme un prince fainéant, et qui laissait les affaires du royaume à la discrétion de ses ministres. Les monarques les plus possédés par un favori s’irritent sans peine contre ceux qui les exposent au mépris par une censure libre et juste de cet esclavage. Mariana fut mis en prison, et n’en sortit qu’au bout d’un an ; mais l’événement fit voir qu’il ne s’était pas trompé, en prédisant que les abus qu’il reprenait plongeraient l’Espagne dans un grand désordre. L’écrivain qui conte ceci s’appelle Bernardin Giraldus. Je l’ai déja cité une fois. Quarum (Dissertationum) una fuit, dit-il [3], de Monetæ mutatione in Hispaniâ, quâ quidem fraudes, et imposturæ ministrorum regiorum monetas publicas adulterantium detegebantur, oscitantia, et dormitatio Philippi III regis catholici perstringebatur, ingentia denique damna in universam Hispaniam ex improbissimo regiorum peculatu certo exoritura prænuntiabantur : quem librum qui legat, et hodiernum Hispaniæ statum non ignoret, abesse haudquaquàm possit, quin Marianam divinum hominem fuisse agnoscat (qui ea, quæ hodiè Hispania experitur mala, tanto antè ut vates occinerit) vel certè prudentiam genus divinationis esse intelligat. Verùm vehementer ea res Lermœum ducem, regiæ hispanicæ Sejanum, pupugit : quippè qui fundi Hispanici calamitas esset, seque à Marianâ designari satis intelligeret. Hominem ergo in vincula poscit, in iisque annum vertentem ampliùs continet.

(F)... Et l’exposa à une peine qui a été mal rapportée par M. Varillas. ] Cet historien prétend que Ribadéneira n’avait osé écrire en Espagne, sous le règne de Philippe II, ce que Charles-Quint avait contribué pour obliger la cour de Rome à se porter dans les dernières extrémités contre Henri VIII. Il faut avoir aussi peu de connaissance de l’histoire d’Espagne qu’en a M. Burnet, continue-t-il, pour ignorer que le même Philippe II relégua pour quinze ans en Sicile le père Mariana, pour un sujet beaucoup moins important que n’aurait été celui d’écrire contre Charles-Quint, puisque ce fut uniquement pour avoir composé le traité des Monnaies, qui ne regardait pas si directement la majesté des rois catholiques, que la conduite de Charles-Quint, à l’égard de Henri VIII [4]. Il y a trois faussetés dans ces paroles. 1°. Mariana n’a jamais été relégué en Sicile, tant s’en faut que ce prétendu exil ait duré quinze ans. 2°. Philippe II était mort quand ce jésuite écrivit sur les monnaies. 3°. Ce traité choquait beaucoup plus le roi d’Espagne qui régnait alors [5], que le livre de Ribadéneira n’eût choqué Philippe II, si l’on y eût vu la conduite de Charles-Quint à l’égard de Henri VIII. Je ne relève point

  1. Alegambe, pag. 258, col. 2.
  2. Nicol. Anton., Biblioth. hisp., tom. I, pag. 560.
  3. Bernard. Giraldus, Patavinus, pro Senatu Veneto Apologia, sive de justitiâ decreti, quo Senatus Venetus adolescentes ditioni suæ subditos, ad jesuitarum scholas accedere interdixit : deque conditionibus, quibus jesuitæ reditum ad Venetos videntur impetrare posse. Cette pièce est dans le Recueil intitulé : Arcana societatis Jesu, imprimé à Genève, l’an 1635, in-8°.
  4. Varillas, Réponse à la Critique de M. Burnet, pag. 84, édition de Hollande.
  5. Voyez, dans la remarque précédente, les paroles de Bernardin Giraldus.