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MARIANA.

qu’en avalant du poison sans le savoir on fût homicide de soi-même, on le serait aussi en prenant une chemise empoisonnée ; et néanmoins Mariana ne fait nul scrupule de consentir que l’on empoisonne les habits, les selles ou telles autres choses qui agissent du dehors en dedans. Je dis donc que l’article VIII de ce jésuite est très-indigne d’un homme qui sait raisonner ; et je suis surpris qu’un auteur, qui avait tant de bon sens et tant de logique, adopte une telle puérilité. À cela près, bien des gens se persuadent que son système est d’une belle ordonnance, que les pièces y sont bien liées, qu’on y va naturellement d’une conséquence à l’autre. Posez une fois, disent-ils, que le monarque relève de l’autorité du peuple comme de son tribunal suprême, et qu’il y est justiciable de sa conduite, tout le reste coule de source. Aussi voyons-nous que l’auteur qui réfuta Mariana, établit un fondement tout opposé, savoir que les princes souverains ne dépendent que de Dieu auquel seul il appartient d’en faire justice [1]. Je n’entre point dans la discussion de ce dogme, il me suffit d’observer que comme les doctrines de Mariana sont très-pernicieuses au bien public, il vaudrait mieux qu’il eût raisonné inconséquemment, que de suivre en bon dialecticien les conséquences de son principe. Voyez ci-dessus, tome IX, la remarque (S) de l’article Loyola.

(H)....... Il exposa les jésuites....... a mille sanglans reproches. ] Les catholiques et les protestans fondirent sur eux à qui mieux mieux, à l’occasion de ces dogmes de Mariana, et principalement après l’attentat horrible de Ravaillac ; car on disait que la lecture de Mariana avait inspiré à ce cruel assassin l’infime dessein de poignarder Henri IV. Voilà pourquoi le père Coton fit publier une lettre qu’il avait écrite à Marie de Médicis, veuve de ce prince, où il cita quelques jésuites célèbres qui enseignaient le contraire de ce que Mariana avait soutenu. Il fit plus, car il soutint que le livre de ce jésuite espagnol fut condamné, l’an 1606, dans l’une de leurs congrégations. Je rapporterai ses propres paroles [2] : Tel donc étant le sens et telles les sentences de ces docteurs graves et signalés de notre compagnie, quel préjudice peut apporter l’opinion particulière de Mariana à la réputation de tout un ordre, lequel étant selon son institut, extrêmement jaloux de la manutention des saintes ordonnances de l’église, et respectant la puissance et autorité des rois, que pour le temporel relèvent de Dieu seul, a dès long-temps désavoué la légèreté d’une plume essorée, et nommément en la congrégation provinciale de France, tenue en cette ville de Paris, l’an 1606, où d’abondant le révérend père Claude Aquaviva, général de notre compagnie, fut requis, que ceux qui avaient écrit au préjudice de la couronne de France fussent réprimés et leurs livres supprimés : Ce que ledit révérend père a fait depuis fort sérieusement et exactement, très-marri que par mégarde, en son absence, et sans avoir vu l’œuvre, on ne se fût servi de son aveu. Les paroles dont il usa en sa réponse sont telles [3] : Nous avons approuvé le jugement et le soin de votre congrégation, et avons été grandement attristés que l’on ne se soit aperçu de cela qu’après l’impression de tels livres : lesquels toutefois nous avons soudain commandé d’être corrigés, et aurons soin très-exact désormais que telles choses n’adviennent. De fait à grand peine trouverait-t-on maintenant un seul exemplaire de Mariana, n’eût été la pernicieuse libéralité des héritiers de Wechel, que l’on sait être de la religion prétendue réformée, qui l’ont fait imprimer à leurs propres coûts, non tant poussés, comme il est aisé à présumer, du désir de servir le public, que de nuire au particulier de notre compagnie. Pour ce qui concerne la lecture de Maria-

    pertum eo adigere hominem, ut sibi ipsi manus afferat pugione in viscere adacto aut lethali veneno in cibo aut potu temperato. Perindè enim est, neque minùs humanitatis legibus, jurique naturæ contrarium : quo in vitam suam sævire vetatur omnibus. Negamus ergo hostem, quem fraude dedimus perimi posse, veneno interfici jure. Mariana, ibidem, pag. 66.

  1. Roussel, au chapitre XVII de son Anti-Mariana.
  2. Coton, Lettre déclaratoire de la Doctrine : des jésuites, pag. 8 et 9.
  3. Voyez la remarque suivante.