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MARIANA.

ne [1], et parce qu’il avait entendu que le roi voulait faire la guerre au pape et transférer le saint siége à Paris [2] : car faisant la guerre contre le pape, disait-il [3], c’était la faire contre Dieu : d’autant que le pape était Dieu, et Dieu était le pape.

Un écrivain catholique, qui réfuta la Lettre déclaratoire du père Coton, par un livre intitulé l’Anti-Coton [4], m’apprend des choses qui doivent trouver ici une place. Ce livre de Mariana, dit-il [5], ayant été premièrement imprimé à Tolède, fut apporté en France il y a huit ans, et présenté au roi et les clauses séditieuses de ce livre représentées à sa majesté, laquelle ayant appelé le père Coton lui demanda s’il approuvait cette doctrine. Mais ledit jésuite, qui plie aux occasions, et sait s’accommoder au temps, dit qu’il ne l’approuvait pas. Suivant laquelle réponse sa majesté, par le conseil de M. Servin, son avocat général, commanda à Coton d’écrire à l’encontre : mais il s’en excusa, sachant bien qu’il ne pouvait écrire à l’encontre, sans s’opposer au général de l’ordre et au provincial de Tolède, et à un corps de jésuites qui avait approuvé ce livre. Et maintenant qu’il voit que par la mort du roi les jésuites sont chargés d’une haine universelle, et qu’il se voit pressé par la cour de parlement, et par la sorbonne, il a écrit une épître déclaratoire, où il condamne voirement Mariana : mais en termes si doux et si douteux, qu’on voit bien qu’il a peur de l’offenser, disant seulement que c’est une légèreté d’une plume essorée, au lieu d’accuser la personne d’hérésie, et de trahison perfide et barbare, et la doctrine d’impiété, et inimitié contre Dieu et les hommes. Et quand même il reprendrait Mariana ; comme il faut, si est-ce que c’est (comme dit l’abbé du Bois) après la mort le médecin, et fallait avoir écrit lorsque le roi le lui commanda, et ne laisser point enraciner cette opinion dans l’esprit du peuple, laquelle lui a coûté la vie peu d’années après. Le père Coton articula huit mensonges dans ce narré. Voyez sa réponse apologétique à l’Anti-Coton [6]. Au reste, les jésuites de France ne furent pas les seuls harcelés au sujet de leur confrère Mariana : ceux d’Allemagne eurent part à la tempête, comme il paraît par l’apologie que Jacques Gretsérus fut obligé de publier [7]. Ajoutons ce passage de Conringius : Prodiit et alius ejus (Marianæ) libellus, de Institutione Regis, multa præclara continens, in quo liberrimè judicat, quomodò reges instituendi sint : Non dubitavit autem et apertè quoque docere, si rex vel anathemate tactus vel excommunicatus, ac nonnihil recessit à Romanâ Ecclesiâ, licere in illum gladio, igne scilicet animadvertere. Eâ tamen pietate videri voluit, ut dixerit, regem veneno tolli non licere, quasi verò. Combustus verò hic est liber ob talem doctrinam horrendam Parisiis, et coacti fuêre jesuitæ dissensum profiteri. Non dubitavit et Mariana sicarium Henrici IV regis Galliæ inter sanctos memorare [8]. Je crois que Conringius se trompe deux fois : Mariana n’assure point qu’il soit permis de tuer un prince qui s’écarte tant soit peu de la communion romaine, ou qui est simplement excommunié : et comme son livre a précédé de plus de dix ans la mort d’Henri IV, il n’a pu y faire mention de Ravaillac. Si dans d’autres livres il avait parlé de ce monstre comme d’un saint, on n’eût pas manqué d’en faire reproche aux jésuites, toutefois qu’on leur eût représenté les maximes séditieuses de Mariana, depuis l’impression de ces autres livres. Or je ne pense pas qu’on l’ait jamais fait. On a toujours mis une grande différence entre Ravaillac et Jacques Clément. Celui-ci a eu des approbateurs publics, et même des panégy-

  1. Mercure Français, tom. I, folio 440. Voyez aussi folio 442 verso.
  2. Là même, folio 442 verso.
  3. Là même, folio 443.
  4. On a imputé faussement cet ouvrage au ministre Pierre du Moulin.
  5. Anti-Coton, imprimé l’an 1610, pag. 12 et 13.
  6. Pag. m. 37. Voyez aussi la Réponse d’Eudæmon Johannes à l’Anti-Coton, pag. 54.
  7. Voyez son Vespertilio Hæretico-Politicus. Le père Coton en parle dans sa Lettre déclaratoire, pag. 7, et dans sa Réponse apologétique, pag. 33.
  8. Herman. Conringius, de Regno Hispan., apud Pope Blount, Censura Autorum, p. 614.