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MARILLAC.

avec grande louange, aussi fut-il non-seulement estimé d’avoir très-doctement opiné, mais aussi contenta la plupart de la compagnie [1]. Ces paroles de Louis Régnier précèdent la harangue de Marillac ; et voici celles qui la suivent : « Telle fut la docte, sage et chrétienne harangue de ce grand personnage, qui ne vécut guère depuis, étant, comme l’on dit, intimidé par ceux auxquels il avait déplu : les autres disent que voyant comme tout allait de mal en pis, il en mourut de regret [2]. » M. Varillas donne le précis de cette harangue, mais non pas sans quelques falsifications. En voici un exemple : il suppose que Marillac représenta « que l’ancienne affection des Français pour leur roi était notablement diminuée, et qu’il n’y avait point d’autre vote pour la rétablir que l’assemblée des états : que c’était là le seul tribunal institué pour écouter les plaintes de toute la nation, et pour y satisfaire, comme les autres tribunaux l’étaient pour vider les procès survenus entre les particuliers : que les anciens fondateurs de la monarchie française ne s’étaient réservé que ce lieu où ils partageassent avec le roi l’autorité absolue qu’ils lui avaient donnée ; où ils entrassent dans une espèce d’égalité nécessaire pour réparer ce que le prince avait usurpé sur ses sujets, ou ce que les sujets avaient usurpé sur le prince ; où enfin, le pouvoir suprême et sans bornes dont ils l’avaient revêtu, ne les empêchât pas de négocier et de conclure avec lui des traités obligatoires de part et d’autre : que cette liberté modérée avait maintenu depuis onze cents ans la couronne. par le merveilleux contrepoids dont elle avait balancé le pouvoir et la soumission [3]. Il est certain que l’archevêque de Vienne ne dit rien qui enfermât ces maximes-là, ni formellement, ni même virtuellement, s’il n’est permis d’employer ce mot. Comment se peut-on fier aux extraits que cet historien donne d’une pièce manuscrite, puisqu’il corrompt les harangues imprimées ? Vous verrez dans la remarque suivante jusqu’où il portait la liberté de les altérer et de les falsifier.

(B) Il conseilla… la convocation. des états généraux. ] Il se servit des plus solides raisons qui pussent être alléguées, et il répondit très-bien aux objections, et nommément à celle qui était prise de ce que l’autorité du roi serait diminuée. Ceux qui disent cela, répondit-il [4], me semblent ne connaître point le cœur des Français, qui a toujours fait pour son roi ce qu’il a pu ; et d’en requérir plus, ce serait injuste, et de l’exiger, impossibilité. C’est donc établir l’autorité du roi, et non pas la diminuer, de leur proposer choses justes, puisque sans violer le nom du roi, l’on ne peut faire autrement ; et par-là d’attendre l’octroi de tout ce que le roi veut, puisqu’il a si bon peuple qui ne lui refuse rien. Et si l’on réplique que le roi se bride de n’avoir rien sans le consentement du peuple, je réponds que puisque sans assembler les états, et sans entendre les raisons qui meuvent le prince à croître les charges anciennes, le peuple a ci-devant obéi, et sans contradiction ; que devra-t-il faire quand il sera persuadé que la cause de la demande faite aux états sera trouvée juste ? Si l’on persiste à dire que par-là le peuple serait juge s’il y aurait justice à ce que le roi demanderait, l’on peut ajouter qu’entre tant de gens assemblés, la plupart tend au bien commun, et que le peuple est capable d’entendre ce qui est à son profit, et partant y consentir ; puisque la voix du peuple est communément celle qui est approuvée de Dieu. Peut-on voir des choses plus dissemblables que ce discours de l’archevêque de Vienne, et les paroles de Varillas rapportées ci-dessus ? Mais, pour mieux faire connaître que cet historien ne savait point prendre l’esprit de ce qu’il se mêlait d’abréger, il faut mettre ici un autre passage de la harangue de Marillac. Nous y verrons quelles étaient ses pensées, tant à l’égard de la politique, qu’à l’égard de la religion ; et

  1. Louis Régnier, Histoire de François II, pag. 523, 524
  2. Là même, pag. 553.
  3. Varillas, Hist. de François II, liv. II, p. m. 230.
  4. Louis Régnier, Histoire de François II, pag. 548.