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MARILLAC.

nous connaîtrons que, sur le dernier article, il ressemblait à Érasme : il eût voulu qu’on réformât les abus, mais non pas qu’on se servît de la prise d’armes, soit pour appuyer la réformation de l’église, soit pour accabler les réformateurs. Le quatrième préparatif, dit-il [1], « est qu’en attendant le concile, les séditieux soient cohibés et retenus, en sorte qu’ils ne puissent altérer la tranquillité et repos des bons, et prendre cette maxime indubitable, qu’il n’est permis de prendre les armes pour quelque chose que ce soit, sans le vouloir, commandement et permission du prince, qui en est seul dispensateur. Je le dis pour les piteux exemples naguère advenus, et dont de jour à autre en avons nouveaux avertissemens. D’une part s’est vu le tumulte d’Amboise sous couleur de présenter une confession, au lieu que l’on devait venir en toute humilité ; d’autre part, il y a eu des prêcheurs, lesquels, pour extirper les protestans, voulaient faire élever le peuple, sous couleur d’une sainte sédition ; comme s’il y avait religion qui permît que, pour la planter ou retenir, il fût permis d’user de sédition. Ainsi, des deux côtés, y a eu de la faute, comme ci-devant ont été tués des hommes sous couleur qu’ils étaient protestans : au contraire, on a forcé les juges, et violé la justice ordinaire, pour faire délivrer des prisonniers protestans ; et ainsi, sous ce masque de religion, plusieurs ont usurpé l’autorité du magistrat, de prendre les armes : ce qui ne leur est aucunement licite, ains défendu à tous. Car la fin de la loi est vivre selon Dieu et n’offenser personne ; et la fin des armes est de faire que la loi soit obéie. Le roi donc, étant conservateur de la loi, ainsi ordonnée de Dieu, par conséquent est seul dispensateur des armes qui lui sont baillées pour punir les contrevenans à la loi. Par quoi pour conclusion, celui se fait roi, qui les prend de son autorité, et n’étant ordonné de Dieu pour un tel. Il s’ensuit que tout le monde lui doit courir sus, comme celui qui contrevient à l’ordonnance de Dieu, qui est l’établissement du roi. »

Quelque sages que fussent les avis de cet archevêque, touchant la convocation des états, ils furent fort critiqués par un célèbre jurisconsulte. Car voici ce qu’Étienne Pasquier écrivit sur ce fait-là [2] : « Cestuy qui premier mit en advant cest advis de tenir les estats, fut messire Charles de Marilhac. Cestuy en l’assemblée de Fontainebleau (fust ou pour ce que les affaires de France ne se gouvernoyent à son desir, ou pour quelque autre occasion) par une belle boutée de nature fit une forte remonstrance, par laquelle, après avoir promené toutes sortes d’avis en son esprit, il dict qu’il ne trouvoit remède plus prompt au mal qui se presentoit que de convoquer les estats. C’est une vieille follie qui court en l’esprit des plus sages François, qu’il n’y a rien qui puisse tant soulager le peuple que telles assemblées. Au contraire, il n’y a rien qui luy procure plus de tort, pour une infinité de raisons, que si je vous deduisois, je passerois les termes et bornes d’une missive. Ceste opinion du commencement arresta M. le cardinal de Lorraine, qui craignoit que par ce moyen on ne voulust bailler une bride au roy, et oster l’authorité que M. de Guise et luy avoient lors sur le gouvernement pendant la minorité du jeune roy leur nepveu. Et de fait depuis ce temps-là il ne vit jamais de bon œil cest archevesque, lequel se bannit volontairement de la cour. Toutesfois après avoir examiné avec ses serviteurs de quelle consequence pouvoit estre ceste convocation des estats, et qu’elle ne pouvoit apporter aucun prejudice au roy, que luy et son frere avoyent rendus le plus fort, non seulement il ne rejetta, ains tres estroitement embrassa ceste opinon, voire estima que ce luy estoit une planche pour exterminer avec plus d’asseurance et solennité tous les protestans de la France. » Pasquier remarque que la mort de François II dissipa en un instant les

  1. Louis Regnier, Hist. de François II, p. 537.
  2. Pasquier, Lettres, liv. IV, pag. 192, 193 du Ier. tome.