Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
381
MÉLANCHTHON.

ne faisait point signer d’abjuration où l’on ne mît toutes les herbes de la Saint-Jean. Ce sont les propres mots dont il se servit. Cela me fait souvenir d’un jésuite qui disait qu’ils n’éteindraient pas un cierge quand ce serait pour convertir tous les huguenots.

Ce que Mélanchthon dit à sa mère témoigne manifestement qu’il haïssait les disputes de religion, et qu’il n’y était entraîné que par l’exigence du rôle qu’il avait à soutenir dans le monde. Étant allé aux conférences de Spire, l’an 1529, il fit un petit voyage à Bretten pour voir sa mère. Cette bonne femme lui demanda ce qu’il fallait qu’elle crût au milieu de tant de disputes, et lui récita les prières qu’elle avait accoutumée de faire, et qui n’enfermaient aucune superstition : Continuez, lui répondit-il, de croire et de prier comme vous avez fait jusques à présent, et ne vous laissez point troubler par le conflit des controverses. Ab eâ cùm interrogatus esset : quid sibi in ejusmodi controversiis credendum ? respondit, auditis illius precibus, quæ nihil superstitionis habebant, ut pergeret hoc credere et orare quod credidisset et orâsset hactenùs : nec pateretur se turbari conflictibus disputationum [1]. Ceci réfute invinciblement un mauvais conte que Florimond de Rémond débite. On escrit, dit-il [2], que Mélanchthon étant sur Le point de rendre l’âme, l’an 1560, sa mère accablée d’années, lui tint tel langage : « [* 1] Mon fils, tu me vois sur le poinct de partir de ce monde, pour rendre conte au grand juge de ce que tu as fait. Tu sçais que j’étois catholique, tu m’as induite de changer de religion, pour en prendre une diverse à celle de mes pères ; or je l’adjure par le Dieu vivant, de me dire maintenant laquelle est la meilleure, et ne le cele pas. Ha ! dit Mélanchthon, la nouvelle doctrine est la plus plausible, mais l’autre est la plus seure et certaine : et se tournant dit tout haut : Hæc plausibilior, illa scecurior. » Il est faux que Mélanchthon ait porté sa mère à changer de religion, et il est certain que la mort de cette femme précéda de plus de trente ans celle de son fils.

(F) François Ier. le jugea propre... et le pria de venir en France. ] Rapportons la paraphrase que M. Maimbourg a faite du récit de Florimond de Rémond. « La reine de Navarre qui savait que le roi son frère souhaitait passionnément la paix de l’église, espéra qu’elle le pourrait prendre de ce côté-là. Pour cet effet, elle se mit à lui parler souvent d’un grand homme de bien : disait-elle, appelé Philippe Mélanchthon, qu’elle lui louait incessamment comme le plus savant homme de son temps ; qui n’approuvait pas à la vérité, ajoutait-elle adroitement, certains abus qu’on voyait manifestement dans la doctrine, dans les mœurs, et dans la discipline parmi les chrétiens de ces derniers siècles ; mais aussi qui détestait le schisme qu’on avait fait à cette occasion en Allemagne, et qu’il avait toujours tâché d’éteindre par toutes sortes de moyens. Elle assurait que c’était un homme paisible, d’esprit doux, n’ayant rien du tout du génie violent et impétueux de Luther et de Zuingle, qu’il avait toujours tâché d’accorder et entre eux et avec les catholiques, afin de réunir tous les esprits dans une même créance, et de rétablir dans l’église la paix et l’union après laquelle il soupirait incessamment ; qu’elle ne doutait point que si un si saint et si habile homme pouvait conférer avec les docteurs de Sorbonne qui ne désiraient aussi que la paix, ils ne trouvassent bientôt les moyens de la procurer à l’église, et d’abolir un schisme qui pouvait s’étendre facilement de l’Allemagne en France, et y causer les mêmes troubles et les mêmes désordres qu’on voyait dans l’Empire. Enfin, elle lui dit tant de choses à l’avantage de Mélanchthon, et lui donna tant d’espérance de pouvoir terminer par son moyen les différens qui commençaient à naître en France aussi-bien qu’en Alle-

  1. (*) Voyez Morus, l. 2 de Miss. ; François des Montagnes, en la Vérité défendue.
  1. Melch. Adam., in Vitis Theologorum, pag. 333.
  2. Florimond de Rémond, Histoire de la Naissance et Progrès de l’Hérésie, liv. II, chap. IX, pag. m. 186, 187.