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MÉLANCHTHON.

père Rapin. Il cite[1] une thèse soutenue par Luther, à Heidelberg l’an 1518, où Aristote fut maltraité. Luther, continue-t-il, ne laisse passer aucune occasion, dans ses ouvrages, de s’emporter contre ce philosophe ; en quoi il a été suivi de Zuingle, de Pierre Martyr, de Zanchius, de Mélanchthon, et de tous ceux qui ont combattu la doctrine de l’église romaine. Ce qui a fait dire à Melchior Cano, etc. Tout cela, et ce qu’il vient de dire des anabaptistes, est tiré du livre de George Hornius, qu’il a cité. Or voici les paroles de cet auteur : Ibique (Lutherus) pluribus Aristotelem exagitat. Zwinglius etiam, P. Martyr, Zanchius, et alii excelsissimè florebant philosophiæ laudibus. Omnes tamen exsuperavit divinum Philippi Melanchthonis ingenium, qui scriptis suis totam philosophiam ita illustravit, ut verè author ejus et fatalis in Germaniâ instaurator dici possit. Illustravit dialecticam, ethicam, physicam, et mathematicas disciplinas : expurgavit spinas philosophorum : id denique effecit, ut philosophia mox florentissima efficeretur[2]. La particule etiam, mise peu après les paroles qui marquent que Luther s’est emporté contre Aristote, a fait croire au père Rapin que Zuingle, et les autres réformateurs nommés par Hornius, se sont emportés aussi contre Aristote ; mais on peut aisément connaître que cela est très-éloigné de la pensée de Hornius : l’éloge qu’il fait de Mélanchthon pourrait-être encore plus étendu ; car ce grand homme ne se borna pas à illustrer toutes les parties de la philosophie s’il n’y eut guère d’arts, ni de sciences, sur quoi il ne travaillât, tâchant d’en faciliter l’étude par des méthodes faciles et dégagées. Que dirons-nous donc de ceux qui ont eu l’audace de publier que Mélanchthon et Carlostad décrièrent toutes les sciences, qu’ils se firent artisans, et qu’ils rendirent si désertes presque toutes les écoles, qu’on n’y voyait que des toiles d’araignée[3]. Malaisément trouverait-on des professeurs qui aient fait autant de leçons que celui-ci, et à tant de gens [4]. Il lui arrivait souvent de faire trois ou quatre leçons par jour[5] ; et il y a lieu de croire que quand il se maria, il n’interrompit ses exercices académiques que le jour des noces : c’est ce que l’on peut inférer de ce distique :

A studiis hodiè facit otia grata Philippus,
Nec vobis Pauli dogmata sacra leget.


Voilà l’avertissement qui fut donné ce jour-là à ses auditeurs[6]. Il fut le principal appui de l’académie de Wittemberg. Suâ industriâ atque eruditione Wittembergicam academiam præcipuè sustinuit : nec passus est vel bellis civilibus, vel intestinis odiis sese ab eâ abstrahi : binas, ternas, quaternas quotidiè scholas habuit easque frequentissimas : nullam autem horam vacuam à legendo, scribendo, disserendo, consulendo[7].

Pour ne rien dissimuler, il faut que je dise ici que Mélanchthon suivit au commencement le branle que Luther lui avait donné : il parla mal d’Aristote ; mais il changea bientôt de langage, et il persévéra dans la recommandation de la philosophie de ce fondateur du lycée. C’est pourquoi le père Rapin n’a pas été bien fondé dans l’accusation que j’ai rapportée au commencement de cette remarque ; car il ne faut point juger d’un homme par les sentimens qu’il quitte bientôt, mais par ceux où il se confirme tout le reste de ses jours. Le père Gretser eût pu apprendre au père Rapin comment il fallait parler sur cette matière. Voyez ce que j’ai déjà cité de ce jésuite allemand, et ce que je vais tirer de la même source : Quid ad nos, quid Aristoteles impurus homo dicat ? vociferatur Philippus [* 1]. Et in Locis anno Christi M. D. XXIII, Argentorati editis [* 2] : Aristotelis doctrina est in universum quædam libido rixandi, ut eum inter

  1. (*) Philipp. in Apolog. pro Luth. et in Ludo contrà Parisiens.
  2. (*) Tit. de peccato.
  1. Rapin, Réflexions sur la Philosophie, pag. m. 451.
  2. Georg. Hornius, Histor. Philosoph., lib. VI, cap. IX, pag. 315.
  3. Le jésuite Crésolius est de ceux-là Voyez Morhot., Poly, hist., pag. 7 et 8.
  4. Voyez ci-dessus, dans la remarque (P), ce que Sabin répondit au cardinal Bembus.
  5. Konig, Biblioth., pag. 527. Voyez, ci-dessous, citation (85).
  6. Melch. Adam., in Vitis Philos., p. 190.
  7. Idem, in Vitis Theolog., pag. 355.