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MILTON.

sons qui favorisent la bonne cause, que lorsqu’on a éprouvé les dégoûts du mauvais parti. Ceux qui traitent une matière qui ne les concerne point personnellement, ne produisent que des jeux d’imagination, et ne font que s’amuser dans leur loisir, ou, qui pis est, que déclamer sans cette force et sans cette vivacité que l’expérience inspire. D’où il faut conclure que ceux qui n’ont point passé par les incommodités du mariage, sont infiniment moins propres que Milton à décrire et à soutenir les argumens qui attaquent la tyrannie de l’indissolubilité du lien conjugal. On aurait pu croire que les traités qu’il publia touchant le divorce étaient le fruit, ou de sa colère, ou de l’envie de faire parade de son esprit dans le soutien d’un paradoxe, plutôt que le fruit d’une véritable persuasion. Mais pour empêcher qu’on ne fît de lui un tel jugement, il voulut montrer qu’il y allait tout de bon, et mettre en pratique son hypothèse [1]. Il rechercha pour cet effet, en mariage, une jeune fille de grand esprit, et tout-à-fait belle. Mais étant un jour chez un ami qu’il allait voir très-souvent, il vit tout d’un coup sa femme qui se jeta à ses genoux, et qui, la larme à l’œil, reconnut sa faute, et lui en demanda pardon. Il fut d’abord inflexible, et l’on aurait dit qu’il serait inexorable ; mais cette première dureté de cœur s’amollit bientôt. Sa générosité naturelle, et l’intercession de ses amis le portèrent à une prompte réconciliation, et à oublier tout le passé. Il ne garda point de rancune : il reçut dans son logis le père, la mère, les frères, les sœurs de sa femme, lorsque le parti royal tombait par pièces, et il protégea et nourrit cette parenté jusques à ce qu’elle vit venir un meilleur temps [2]. N’y a-t-il pas là de quoi le mettre dans la liste des bons maris, et de quoi le faire servir de preuve à la remarque que tant de gens font, qu’il n’y a rien de plus débonnaire qu’un homme à l’égard d’une épouse qui l’a offensé, et même déshonoré ? Celui-ci avait sur les bras, non-seulement le ressentiment d’époux, mais même l’intérêt d’auteur : il s’était, pour ainsi dire, lié les mains par ses écrits, sa thèse du divorce appuyée de répliques le portait à soutenir la gageure. Ajoutez à cela qu’il sentait de nouvelles flammes pour une fille charmante par sa beauté et par son esprit : et néanmoins deux ou trois larmes de son épouse le démontèrent ; il consentit à tout ce qu’elle voulut. Anciennes résolutions de ne la plus voir, engagement d’auteur, nouvelles amours, tout plia sous la force victorieuse d’un peccavi prononcé par une épouse éplorée. Voyez la note [3].

(M)... Il en eut une fille... et puis bien d’autres enfans. ] Un fils, qui mourut l’an 1652, et trois filles, qui lui servirent de lecteur. Il leur apprit à prononcer exactement les mots latins, grecs, hébreux, italiens, français, espagnols ; et à mesure qu’il avait besoin d’un livre, il fallait que l’une d’elles lui en fît la lecture. Comme elles n’entendaient pas le sens de ce qu’elles prononçaient, cet exercice leur était fort désagréable : il s’en aperçut par leurs murmures ; et prévoyant qu’à l’avenir ce serait une corvée qui leur deviendrait ennuyeuse de plus en plus, il les en dispensa, et leur fit apprendre des choses plus convenables à leur condition, et à leur sexe [4].

(N) Il soutint que Charles Ier. n’était point l’auteur de l’Εἰκὼν βασιλική. Le temps a montre qu’il soutint cela avec fondement. ] Il n’est peut-être jamais arrivé aucune chose plus singulière que celle-ci dans ce qui concerne l’histoire des livres. La dispute qui s’est élevée sur ce point de fait, a été féconde en écrits. Les parties, ayant jugé que la chose traînait après elle plusieurs conséquences notables, se sont piquées au jeu, et ont mis en usage toute l’industrie des discussions. C’est ce qui m’autorise à donner quelque détail sur cette affaire. Je commence par le livre même qui à pour titre Εἰκὼν Βασιλική. Il a été traduit de l’anglais en diverses

  1. Qui était, que non-seulement on peut se séparer de sa femme, mais aussi en épouser une autre.
  2. Tiré des Extraits de la Vie de Milton.
  3. Ceux qui voudront voir une partie des raisons de Milton pour le divorce, n’ont qu’à lire l’Extrait de sa Vie, dans le journal de M. de Beauval, mois de février 1699, pag. 81 et suiv.
  4. Tiré des Extraits de la Vie de Milton.