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MILTON.

comme il fit grâce aux amis de Job, honnêtes gens et pieux, quoiqu’ils bronchassent lourdement sur quelques points de doctrine. Mais, dira-t-on, la condition des chrétiens est bien différente, puisque Dieu leur a promis de leur enseigner toutes choses. Il est vrai, pourvu que par toutes choses on n’entende que les articles absolument nécessaires au salut. Or si l’on examine tranquillement, et selon l’instinct de la charité, des matières dont les protestans disputent entre eux avec le plus de chaleur, on trouvera qu’elles ne sont pas de ce genre. Le luthérien croit la consubstantiation : c’est une erreur sans contredit ; mais non pas une erreur mortelle. On blâme les calvinistes sur la doctrine de la prédestination, comme s’ils faisaient Dieu auteur du péché. Il est pourtant sûr qu’ils n’ont point dans l’âme aucune pensée qui répugne à l’honneur de Dieu ; mais par un zèle un peu trop ardent peut être, ils s’attachent à sa puissance absolue, non sans alléguer sa propre parole. On accuse les anabaptistes de nier que les enfans doivent être baptisés : ils répondent qu’ils ne nient que ce que l’Écriture Sainte rejette. On objecte aux sociniens et aux ariens qu’ils combattent la Trinité : ils assurent néanmoins qu’ils croient le Père, le Fils, et le Saint Esprit, selon l’Écriture et selon le symbole des apôtres ; et que pour ce qui est des termes, Trinité, Triunité, Coessentialité, Tripersonalité, et autres semblables, ils les rejettent comme des notions d’école qui ne se trouvent point dans l’Écriture, laquelle selon l’axiome général des protestans est assez claire pour fournir en mots propres et convenables l’explication des doctrines qu’elle contient. Enfin, on accuse les arminiens d’élever le franc arbitre sur les ruines de la grâce ; c’est ce qu’ils nient dans tous leurs écrits, et ils citent l’Écriture pour soutenir tous leurs dogmes. Nous ne pouvons nier que les fondateurs de toutes ces nouvelles sectes n’aient été doctes, vénérables, pieux et zélés, comme on peut le voir par la description de leur vie et par la bonne renommée de leurs sectateurs, parmi lesquels il y a beaucoup de personnes relevées, savantes, qui entendent bien l’Écriture, et dont la vie est irréprochable. Il n’est pas possible de s’imaginer que Dieu veuille que des ouvriers dans sa vigne, si laborieux et si zélés, et qui souffrent très-souvent plusieurs maux pour la conscience, soient abandonnés à des hérésies mortelles et à un sens réprouvé, eux qui ont imploré l’assistance de son saint Esprit en tant de rencontres. Il est plus croyable que, n’ayant donné à aucun homme le don d’infaillibilité, il leur a pardonné leurs erreurs, et s’est contenté bénignement des pieux efforts avec lesquels ils ont examiné toutes choses sincèrement et selon la règle de l’Écriture, et sous la direction céleste telle que leurs prières ont pu obtenir. Où est donc le protestant qui, attaché aux mêmes principes, et condamnant la foi implicite, veuille persécuter de pareilles gens, au lieu de les tolérer en charité ? La persécution ne prouverait-elle pas qu’il abandonne son propre principe ? Si quelqu’un demande jusqu’où il est bon de les tolérer, je réponds, 1°., que la tolérance doit être égale envers tous, puisqu’ils sont tous protestans ; 2°., que par cette tolérance il leur doit être permis de rendre raison de leur foi en toutes rencontres, soit par des disputes, et par des prédications dans leurs assemblées publiques, soit par des livres imprimés [1]. » Après cela, Milton montre que le papisme doit être entièrement privé du bénéfice de la tolérance, non pas en tant que c’est une religion, mais en tant que c’est une faction tyrannique qui opprime toutes les autres [* 1]. Il montre aussi que le moyen le plus efficace d’en empêcher l’augmentation dans l’Angleterre, est d’y tolérer toutes

  1. * Joly, là-dessus, rapporte un long passage des Mémoires d’Avrigny, qui invective Bayle. C’est à ce passage qu’il renvoyait dans sa note sur la fin du texte de l’article Japon, tom. VIII.
  1. Milton, dans le livre anglais de verâ Religione, Hæresi, etc., selon les Extraits latins de sa Vie, par M. Toland.