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MILTON.

sortes de protestans, et en général toutes autres sectes dont les principes ne favorisent ni le vice ni la sédition.

Par ce morceau de la doctrine de Milton, on peut aisément connaître qu’il n’y avait personne qui eût plus de zèle que lui pour la tolérance ; car ceux qui n’en excluent pas le papisme, et qui par conséquent la limitent beaucoup moins que lui, ne sont pas comme il le semble d’abord ses plus fidèles sectateurs. Ceux-ci, par un excès d’amitié pour la tolérance, sont intolérans au dernier point à l’égard des sectes persécutrices : et comme le papisme est de temps immémorial le parti qui persécute le plus, et qu’il ne cesse de tourmenter le corps et l’âme des autres chrétiens, partout où il le peut faire, c’est principalement à son expulsion que concluent les tolérans les plus outrés. Ils prétendent raisonner conséquemment, et ils ne savent comment accorder l’édit de l’empereur de la Chine avec cette haute sagesse dont on le loue. Je parle de l’édit de tolérance qu’il a fait pour les chrétiens, et dont un jésuite a donné une belle histoire [1]. Ils croient qu’un prince sage n’eût pas accordé aux missionnaires du pape et à leurs néophytes la liberté de conscience, avant que de s’informer quels sont leurs principes de conversion, et de quelle manière leurs prédécesseurs en ont usé. S’il eût cherché là-dessus tous les éclaircissemens que la bonne politique demandait, il n’eût point permis aux missionnaires ce qu’il leur accorde, il eût su que ce sont des gens qui prétendent que Jésus-Christ leur ordonne de contraindre d’entrer, c’est-à-dire de bannir, d’emprisonner, de torturer, de tuer, de dragonner tous ceux qui refusent de se convertir à l’Évangile, et de détrôner les princes qui s’opposent à ses progrès. On ne voit point que l’empereur de la Chine se pût laver d’une imprudence inexcusable, si sachant cela il eût néanmoins accordé l’édit [2]. Il faut donc croire pour son honneur qu’il n’en savait rien, et par cela même il est blâmable, il ne s’est point informé de ce qu’il fallait qu’il sût. Apparemment il ne vivra pas assez pour avoir lieu de se repentir de sa négligence : mais il ne faut point répondre que ses descendans ne maudiront pas sa mémoire ; car peut-être se verront-ils obligés plus tôt qu’on ne pense à résister à des séditions dangereuses, excitées par les sectateurs de la nouvelle religion, et à égorger s’ils ne veulent être égorgés. Il faudra peut-être jouer au plus fin comme autrefois dans le Japon [3]. Ne craignez pas que les missionnaires s’amusent à se quereller, quand il faudra mettre en pratique le dogme de la contrainte, et celui des soulèvemens et des dragonnades. Les thomistes, les scotistes et les molinistes oublieront alors tous leurs différends et travailleront d’une même épaule à l’exécution du contrains-les d’entrer. Aujourd’hui [4] toute l’Europe retentit de leurs disputes : ils s’entr’accusent à Rome ; les congrégations des cardinaux, la Sorbonne, les princes, Les auteurs, se trémoussent là-dessus, et se donnent cent mouvemens. Et il est bien étrange que les divisions des missionnaires, leurs disputes et leurs entremangeries, qui ne peuvent être inconnues aux nouveaux chrétiens du Levant, leur permettent de faire les grands progrès dont ils se vantent [5]. Ils ne seraient point de mauvaise intelligence, s’il n’était question que de vexer et de tourmenter les idolâtres de la Chine. Mais brisons-là : ce sont des objets contraires à la tranquillité d’un écrivain, et à celle de plusieurs lecteurs. Ils se chagrinent assez de ne pouvoir parcourir une gazette, sans y trouver quantité de gens persécutés en France, au Palatinat, etc.

Pour revenir à Milton, et finir par lui, je dirai qu’il me serait bien difficile de marquer pourquoi il se détacha de toutes les sectes chrétiennes ; car son propre historien laisse

  1. Le père Charles le Gobien : son livre a été imprimé à Paris, l’an 1698, in-12. J’en ai cité quelque chose, tom. IV, pag. 99, citation (33) de l’article Brachmanes.
  2. Voyez le Commentaire philosophique sur Contrains-les d’entrer, part. I, pag. 81 et suiv.
  3. Conférez ce que dessus, remarque (E) de l’article Japon, tom. VIII, pag. 328.
  4. On écrit ceci, en novembre 1700.
  5. Voyez le même Commentaire philosophique, au supplément, pag, 117 et suiv.