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MORIN.

liter conveniant, cum foliis, floribus, et fructibus cujusvis alterius plantæ ejusden speciei : quod sanè cum scientiâ mechanicâ, talis seminis virtuti inditâ, ejusque signaturis essentialibus, concipi facilè potest ; quasi mentis alicujus regulare opus, quod in arancarum telis, apum alveolis, cœterisque animalium actionibus patet adhuc evidentiùs : aliter verò concipi nequit cum assensu rationis [1]. Il a raison de dire qu’il n’y a rien de plus absurde que de soutenir que le mouvement seul des atomes est capable de produire cette admirable régularité qui se trouve dans les plantes, cette conformité des fruits et des feuilles dans les arbres de même espèce, etc. Il est mille fois plus difficile de former une feuille d’arbre, que d’imprimer une page de Cicéron [2] : puis donc que jamais un arrangement de caractères, qui ne serait dirigé par aucun choix, ne produirait une page de Cicéron, il ne faut pas croire qu’un arrangement d’atomes non dirigé puisse produire une feuille d’arbre ou une pomme. Il semble donc qu’il faille donner aux plantes un principe intelligent qui choisisse et qui arrange les matériaux des feuilles, etc. (c’est le sentiment de Morin), ou que la plante soit organisée dans sa semence, c’est l’opinion de plusieurs cartésiens. Nihil excogitari potest absurdiùs quàm quòd illa similitudo florum, foliorum, et fructuum ejusdem arboris in colore, odore, sapore et conformatione, prodeat ex solo motu atomorum, à quo sunt situs et ordo ipsarum : nec inter omnes flores, folia et fructus pomi, ullus accidat flos, folium, vel fructus pyri aut alterius plantæ ab ipso atomorum motu. Hic enim nisi per aliquam regatur specificam scientiam, quæ in atomis concipi vel explicari nequit, causabit duntaxat fortuitos situs et ordines atomorum, qui vel nunquàm efficient aliquam determinatæ speciei plantam ; vel saltem hanc multis extraneis foliis, floribus et fructibus inficient, si tantùm planta generetur, et non potiùs chymæra diversarum genere rerum [3].

(N) Il reçut de M. Descartes divers témoignages d’estime. ] Il fit connaissance avec lui l’an 1626 [4]. Quelque temps après il lui fit présent de son livre des Longitudes, et en fut remercié par une lettre fort obligeante [5]. Il lui envoya des objections touchant sa lumière, l’an 1635 [6]. Ces paroles de sa lettre sont remarquables. J’ai toujours été l’un de vos partisans, et de mon naturel je hais et je déteste cette racaille d’esprits malins qui, voyant paraître quelque esprit relevé comme un astre nouveau, au lieu de lui savoir bon gré de ses labeurs et nouvelles inventions, s’enflent d’envie contre lui, et n’ont autre but que d’offusquer ou éteindre son nom, sa gloire et ses mérites ; bien qu’ils soient par lui tirés de l’ignorance des choses dont libéralement il leur donne la connaissance. J’ai passé par ces piques, et je sais ce qu’en vaut l’aune. La postérité plaindra mon malheur ; et, parlant de ce siècle de fer, elle dira avec vérité que la fortune n’était pas pour les hommes savans. Je souhaite néanmoins qu’elle vous soit plus favorable qu’à moi. Quel orgueil ! quelle vanité ! M. Descartes répondit à ces objections ; Morin répliqua [7] « et nous avons encore ce second écrit inséré au premier tome des lettres de M. Descartes [* 1], et suivi d’une nouvelle réponse que M. Descartes y fit, dès le mois de septembre, avec une diligence qui le surprit, mais qui lui fit connaître qu’il avait de la considération pour lui. M. Morin [* 2] feignit de n’être pas entièrement satisfait de cette seconde réponse ; et il en prit occasion de lui faire une nouvelle réplique [* 3] au mois d’octobre, afin

  1. (*) Pag. 221, du Ier. tome.
  2. (*) Pag. 234, du Ier, tome.
  3. (*) Cet écrit se trouve au 1er. vol. des Lettres de M.M. c., pag. 242.
  1. Morinus, in Defensione Dissertationis, pag. 66.
  2. Conférez ce qui a été dit ci-dessus, remarque (D) de l’article Cainites, au 1er. alinéa, tom. IV, pag. 308.
  3. Morin., in Defens. Dissertat., pag. 67.
  4. Voyez M. Baillet, Vie de Descartes, tom. I, pag. 138.
  5. C’est la LVIII du Ier. volume de Descartes. Voyez la Vie de Descartes par M. Baillet, tom. I, pag. 265.
  6. Voyez la LVIIIe. lettre du même volume.
  7. Baillet, Vie de Descartes, tom. Ier., pag. 357.