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MOTTE-AIGRON.

par une juste rétribution des ruines qu’elle avait causées aux villages des environs par les courses et les brigandages, servirent à leur réparation [1]. »

Le marquis de Beauvau a condamné avec raison cette sensibilité de la reine-mère. Il y a sujet de s’étonner, dit-il [2], qu’une si grande et si vertueuse princesse, qui avait toujours donné d’insignes marques de piété, et dont la bonté était naturelle, n’ait pas été capable de digérer des injures, ordinaires à l’insolence des gens de guerre, lesquelles ne peuvent jamais blesser la réputation ; et que, pour se venger d’une blessure plus imaginaire qu’effective, elle ait bien voulu hasarder de flétrir sa gloire par le manquement de sa parole, et ruiner plusieurs particuliers innocens par la désolation d’une ville entière, dont les ruines ne peuvent jamais être si cachées à la postérité, qu’elle puisse oublier cette action. La reine eût mieux fait de mépriser ces injures soldatesques, et d’imiter Catherine de Médicis [3]. Mais si pour faire un exemple elle voulait à toute force punir la ville qui s’était portée à ces excès de brutalité et de fureur, il ne fallait point l’admettre à capituler, il fallait la prendre d’assaut ou la contraindre de se rendre à discrétion quoi qu’il en coutât ; et alors sans contrevenir à la foi publique, on eût pu donner à la vengeance tout ce qu’on aurait voulu.

  1. Mémoires du marquis de Beauvau, pag. 87.
  2. Là même.
  3. Voyez la Dissertation sur les Libelles diffamatoires, num. xiii, à la fin de ce Dictionnaire.

MOTTE-AIGRON (Jacques de la) s’est fait connaître par la qualité d’auteur pendant la fameuse querelle de Balzac avec le général des feuillans, le père Goulu. Il avait fait une préface sur les lettres de Balzac, et il avait pris la commission, conjointement avec M. de Vaugelas (A), de porter au père Goulu un exemplaire de l’apologie de Balzac, dans laquelle on maltraitait fort un jeune feuillant. Comme le père Goulu prit l’envoi de cet exemplaire pour un cartel de défi [a], il se mit tout aussitôt à écrire contre Balzac, d’une manière très-emportée, et il décocha quelques traits contre le sieur de la Motte-Aigron ; ceux-ci entre autres, qu’il était fils d’un fort honnête apothicaire, et qu’il vivait ordinairement à la table de Balzac [b]. On prétend que ce fut violer en quelque sorte les droits de l’hospitalité, puis que le père Goulu avait logé plus d’une fois chez le père du sieur de la Motte-Aigron [c] ; mais d’autre côté cela pouvait faire croire qu’il savait les choses d’original. Quoi qu’il en soit, il piqua cruellement son homme, et il fut cause que peu après on informa le public dans la dédicace d’un livre, que le prétendu apothicaire du père Goulu était Abraham Aigron, écuyer, conseiller du roi, et élu d’Angoulême. Cette épître dédicatoire n’est pas mal écrite [d] ; mais comme elle est en latin à la tête de la réponse que la Motte-Aigron fit en français au père Goulu, on y a trouvé une affectation qui a servi à faire plus désapprouver les grands éloges que l’auteur répand sur son père à pleines mains, et qu’il tourne du côté le plus capable d’éloigner tout

  1. Préface de la IIe. partie des lettres de Phyllarque, et Ire. lettre de la IIe. partie.
  2. Lettre XIIIe. de Phyllarq. Ire. partie.
  3. La Motte-Aigron, réponse à Phylilarq., pag. 318, 322. Voyez l’art. Goulu (Jean), remarque (N), tom. VII, pag. 183.
  4. Voyez parmi les lettres de Balzac. celle qu’il écrivit en 1622, à La Motte-Aigron, où il lui donne de grands éloges, et nommément pour la belle latinité d’une pièce manuscrite.