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MUSCULUS.

(L) Les catholiques romains ont trouvé, dans l’un des ouvrages qu’il publia là-dessus, une chose qu’ils ont bien prônée. ] L’Épitome de la Bibliothéque de Gesner [1] m’apprend qu’André Musculus publia un livre à Francfort sur l’Oder, l’an 1577, de Mesech et Kedar, de Gog et Magog, de magnâ Calamitate antè finem mundi ; et qu’en 1558, il fit imprimer au même lieu, Considerationes appropinquantis ultimni Judicii. Ces deux ouvrages avaient été précédés par l’exposition d’une prophétie de Jésus-Christ appliquée au malheur prochain de l’Allemagne. Prophetiam Domini nostri Jesu-Christi ; de imminente Germaniæ Infortunio, exposuit anno 1557. Francoford. ad Viadrum [2]. C’est dans ce dernier écrit que l’on a trouvé le passage dont les controversistes du parti romain ont abusé, pour faire accroire que les protestans méprisent si fort leurs ministres, qu’ils ne veulent point de leur alliance. Un jésuite irlandais donnant ce titre, Quam infamis sit ubivis conditio ministrorum, à l’un des chapitres de sa Britannomachia ministrorum [3], allègue d’abord ce passage d’André Musculus, et cite le feuillet 27 du Traité de la Prophétie. Ut jam quis prædicantem agere velit, præoptaret, scio, nunquàm se ut lucem hanc prodiisse. Parentes quoque in primo lavacro aquis suffocatum esse mallent. Quod si etiam aliqui ex nostris liberis prædicantes fieri fortassè cuperent, infamiæ et turpitudinis metu adspirare non possunt. Usu venit etiam, cùm quis juvenis virginem aliquam sibi in matrimonio locari poscit, ut eum parentes virginis, aut etiam virgo ipsa, sciscitentur, utrùm prædicans fieri cogitet. Habemus etiam (quod multò magis horrendum est auditu) eorum exempla, qui ne repudiarentur, hâc lege et conditione matrimonium contraxerunt, ut se prædicantes nunquàm fore jurejurando promitterent. Il dit ensuite que Downham, à la page 67 de ses Sermons, fait la même plainte touchant l’Angleterre. Je crois que ce Downham avait en vue les premiers temps de la réforme sous la reine Élisabeth ; car Sandérus rapporte que les nouveaux prédicans avaient été au commencement si négligens ou malheureux en élisant des femmes, qu’ils les avaient toutes prises déshonnêtes et paillardes, ce qui était un scandale aux moindres de leur secte, et moquerie aux catholiques. Élisabeth fit un édit que les évêques et les prêtres ne prendraient en mariage que femme témoignée honnête et vertueuse par les jugemens de quelques-uns ; mais, ajoute-t-il, cela ne remédia pas au mal, parce que d’un côté plusieurs ne pouvaient être sans femmes non plus que sans pain, comme ils disaient, et que de l’autre ils ne trouvaient personne ni des catholiques ni des hérétiques mêmes qui voulût leur donner leur fille en mariage ; car on estimait déshonnête d’être femme de prêtre, et selon les lois du royaume tels mariages ne sont que des adultères, et telles femmes n’ont point rang selon celui du mari, ce qui est contre la nature du vrai mariage. Élisabeth, dit-il, ne reçoit point en sa cour les femmes des prêtres : les princesses n’ont point de familiarité avec elles, on ne les nomme point femmes d’archevêques, et leurs maris les doivent garder au logis comme instrumens ou vases de leurs paillardises et nécessités [4]. Tout le monde sait que Sandérus écrivit ce livre avec tant d’emportement, et tant de passion, qu’il ne mérite que peu de créance. Mais en tout cas les choses ont bien changé depuis ce temps-là sur l’article dont nous parlons : et pour ce qui est du passage d’André Musculus, il est visible que les adversaires en abusent. Il est aisé de conjecturer que ce docteur luthérien rempli de cette hypothèse, que l’Allemagne allait ressentir les fléaux de la justice divine, contenus dans une prophétie de Jésus-Christ, exagéra le mépris que l’on témoignait pour la parole de Dieu, et qu’il déclama trop fortement sur le peu d’honneur que l’on faisait aux ministres. Échauffé de cette idée, il représenta par des figures hyperboliques l’aversion du ministère, comme si un père eût mieux aimé que son fils fût mort

  1. À la page 47.
  2. Epitome Bibliothec. Gesneri, pag. 47.
  3. La section X du chapitre V du IIIe. livre de Henri Fitz-Simon, pag. 342.
  4. Sandérus, du Schisme d’Angleterre, folio 238. Je me sers de lu traduction française, imprimée l’an 1587.