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SUR LE LIVRE DE JUNIUS BRUTUS.

vraie époque du livre. Il est étonnant que ni Grotius, qui savait presque tout ce qui se passait dans la république des lettres, ni Rivet, ni des Marets ; desquels la lecture était fort vaste, n’aient rien su ni de ce que d’Aubigné avait dit concernait Junius Brutus, dans sa seconde édition, en l’an 1626, ni de l’oraison funèbre de Simon Goulart, prononcée et imprimée à Genève, l’an 1628. Les savans sont d’étranges gens ; ils courent après les choses éloignées et qui les fuient, et laissent ce qu’ils ont comme sous la main [a]. Un chasseur en fait autant,

Transvolat in medio posita et fugientia captat [b].

VI. Découverte par l’Oraison funèbre de Goulart.

C’est à la mort de Simon Goulart que les sceaux ont été levés pour la pleine révélation du mystère [* 1]. En effet Théodore Tronchin [c], professeur en théologie, faisant l’oraison funèbre de ce ministre, exposa qu’il avait une lecture et une mémoire presque infinies, et qu’on recourait à lui comme à un oracle, pour savoir au vrai ce que l’on souhaitait de bien savoir. Preuve de cela, c’est que le roi Henri III, ayant une passion ardente de connaître l’auteur qui s’étant caché sous le faux nom d’Étienne Junius Brutus, et n’ayant pu en venir à bout, quelques expédiens qu’il eût employés, résolut enfin d’en venir à la voie qu’il crut la plus courte ; ce fut d’envoyer le demander à Simon Goulart. Mais celui-ci, pour ne pas commettre les intéressés, ne parla pas en ce temps-là, quoiqu’il eût vu l’original de l’auteur, et qu’il sût que l’ouvrage avait été composé par Hubert Languet, et que du Plessis Mornai, étant devenu le maître du manuscrit après la mort de l’auteur, le fit imprimer par Thomas Guarin.

Il paraît clairement par-là, 1°. que ce livre n’a pu être imprimé tout au plus tôt que sur la fin de l’année 1581, puisque la mort de Languet n’arriva que le 1er. d’octobre de cette année ; 2°. que tout fut falsifié dans le titre de la première édition, le temps et le lieu de l’impression, aussi-bien que le nom de l’auteur ; car on supposa que le livre avait été imprimé à Édimbourg en 1579 [d]. Outre qu’on y ajouta une préface sous le nom de celui qui le publiait, dans laquelle il se donne le faux nom de Conon Superantius, Vasco, et se sert d’une fausse date pour le temps et pour le lieu, savoir de Soleure, le 1er. de janvier 1577. Il est aisé de vérifier que du Plessis ne fut point en Suisse, dans le temps qui s’écoula depuis la mort de Languet jusques à la publication du Junius Brutus ; et je ne pense pas que personne osât soutenir que Thomas Guarix [* 2] fût un libraire d’Édim-

  1. * Leclerc, qui, à l’article Goulart, tom. VII, pag. 173, avait combattu ses sentimens de Bayle, y revient encore ici. Joly a fait quelques notes sur les critiques de Leclerc.
  2. * Voyez la note ajoutée sur la rem. (B).
  1. Voyez Maimbourg, Histoire de l’Arian., tom. I, pag. 347, édition de Hollande.
  2. Horat., lib. I, sat. II, vs. 108.
  3. Voyez son article, ci-dessus dans son rang, tom. XIV, pag. 259.
  4. Voyez la remarque (B).