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ZABARELLA.

ne devraient pas se combattre les uns les autres. Il faudrait qu’ils fussent d’accord sur la question si l’esprit de Zabarella agissait avec promptitude, ou s’il agissait lentement. Il fut professeur vingt-cinq années plus ou moins dans l’une des plus fameuses universités de l’Europe. Il eut donc mille et mille fois les occasions de faire paraître publiquement s’il avait besoin de méditation pour résoudre un doute, ou s’il pouvait le dénouer sur-le-champ. Pourquoi donc faut-il que le Tomasini nous parle de cette manière, Nactus est Mercurium feliciter stantem, quam ob caussam celeres ingenii motus, et ad quævis excogitanda faciles et expeditos habuit in omni vitâ [1] ; et que l’Impérialis au contraire nous parle ainsi : Carpebant in te plurimi memoriæ labem, et quendam in agendis torporem, quibus ad privata vel publica negotia minùs reddebaris idoneus : segniorem te pariter quàm ferret ingenii claritas in quæstionibus inopinatè solvendis prædicabant, cùm te scholarium thesibus nonnisi per interpositas horas respondere solitum dicerent [2] ? Quelques pages après il observe que Zabarella bégayait, et que ses paroles et ses manières étaient grossières. In eo præstitit Jacobo Zabarellæ collegæ suo (Franciscus Piccolomineus) quod ipse facilitate quâdam dicendi præditus juncta comitati morum ac eximiæ humanitati : alter sermone durior, blæsus, incomptus, civilibus in studiis inops potiùs quàm redundans [3].

(F) On l’accuse d’avoir eu quelques sentimens impies. ] Nous trouvons ici en faute M. Moréri. Il est accusé par Impérial, dit-il [4], d’avoir combattu la doctrine de l’immortalité de d’âme, et d’avoir donné dans ses écrits plusieurs marques d’impiété et d’athéisme. La dernière partie de cette accusation ne paraît pas dans l’Impérialis ; et si la première y paraît, ce n’est pas comme une chose affirmée par cet auteur, mais plutôt comme un bruit fort incertain qu’il réfute en quelque manière. Voici ses paroles [5] : Prætereà impensiùs te aliquantò impugnâsse immortalitatem animæ, deterrimam Alerandreorum sententiam palàm professum : quos tamen de te rumores ut fortè ab exulceratis animis excitos, ita vel elusit posteritas, vel admirabili ac propè divinâ tuarum virtutum famâ compensavit [6] : prœaltæ siquidem mentis lumen in scriptis diffusum tuis, nullam debet luem temporis nullamque livoris noxam vereri. Cette médisance, si je me trompe, n’avait point d’autre fondement que celui-ci. Il a régné dans l’Italie, et principalement à Padoue, pendant plus d’un siècle, une fameuse contestation ; c’était de savoir si par les principes d’Aristote on pouvait donner des preuves de l’immortalité de notre âme. Quelques professeurs que l’on regardait comme partisans d’Alexandre d’Aphrodisée soutenaient la négative. D’autres soutenaient l’affirmative. Pomponace, notre Zabarella, Crémonin, etc., embrassèrent le premier parti : de là vint qu’une infinité de gens incapables d’employer la distinction dans les choses où elle est la plus nécessaire se plaignirent qu’absolument ces philosophes enseignaient la mortalité de l’âme. Voilà le sophisme à dicto secundum quid ad dictum simpliciter ; voilà en un mot une injustice, une iniquité que les supérieurs ne devraient pas tolérer ; car il y a une différence prodigieuse entre soutenir absolument que l’âme est mortelle, et soutenir que selon les hypothèses d’un tel philosophe il est impossible de prouver qu’elle ne soit pas mortelle. Voyez l’article Pomponace. Les inquisiteurs se conduisirent par un esprit d’équité envers Zabarella ; ils se contentèrent des déclarations qu’il faisait que, par la grâce de Dieu, il était persuadé de l’orthodoxie, encore que les raisons naturelles et les principes d’Aristote lui parussent incapables de former en lui cette précieuse persuasion. Il publia un écrit où il soutenait que l’existence d’un premier moteur, séparé des corps qui composent l’univers, ne pouvait être prouvée qu’en supposant l’éternité du mouve-

  1. Tomasin., Elog., parte I, pag. 138.
  2. Imperialis, in Musæo historico, p. 117.
  3. Idem, ibidem, pag. 115.
  4. Ces paroles de Moréri sont tirées de M. Teissier, Addit. aux Élog., tom. II, pag. 124.
  5. Imperialis, in Musæo historico, p. 117.
  6. Conférez les paroles de Tomasin, rapportées à la fin de l’article.