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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

fondation jusqu’à César ; mais les anciens, d’autre côté, sont trop courts, et il est plus à propos, pour notre instruction, qu’on mette trop de particularités dans une histoire, que si l’on en supprime trop.

IV. Si les Libelles ont été compris sous les crimes de lèse-majesté par la raison qu’ils sont une usurpation du droit souverain.

On s’imaginera peut-être qu’Auguste n’eut pas besoin de grands détours pour montrer que les faiseurs de libelles devaient être poursuivis sur le pied de criminels de lèse-majesté, puisqu’il est évident qu’un particulier qui diffame son prochain usurpe un des droits de la souveraineté, et qu’il n’appartient pas moins au souverain, exclusivement à tout autre, d’infliger la peine d’infamie, que d’infliger la peine de bannissement, de prison, de mort, etc. Mais ce serait raisonner très-faussement, et convertir tout d’un coup en crimes de lèse-majesté l’infraction de toutes les lois, l’adultère, le vol, la séduction d’une fille, etc. ; car on peut dire qu’un voleur ne méprise pas seulement les lois de son souverain, mais aussi qu’il s’empare d’un droit qui n’appartient qu’au souverain : il n’appartient qu’au souverain d’ôter aux particuliers, ou en tout ou en partie, ce qu’ils possèdent. Le droit d’infliger des amendes, des confiscations, etc., ne doit pas moins émaner de la puissance souveraine que celui de noter quelqu’un d’infamie ; et par conséquent un satirique qui diffame son prochain ne saurait être coupable de lèse-majesté, sans qu’il en faille conclure qu’un voleur, qu’un fornicateur l’est aussi. Et cela serait d’autant plus vrai à l’égard des fornicateurs, que s’ils débauchent une femme mariée, ils jouent à frauder les héritiers, par l’intrusion d’un cohéritier illégitime, et qu’en même temps ils attirent un grand déshonneur sur la tête du mari ; que s’ils débauchent une fille, ils lui infligent une flétrissure ignominieuse qui rejaillit sur sa famille, et ils causent à son père un dommage réel, et une perte pécuniaire semblable à celle qui consiste dans le déchet des marchandises. En effet, une fille déflorée est comme un vin éventé, qui ne vaut plus son prix : c’est une marchandise dont le propriétaire demeure toujours chargé, s’il n’aime mieux s’en défaire en y perdant beaucoup ; je veux dire, ou en la mésalliant, ou en lui constituant une dot exorbitante. Ce n’est donc point par-là que l’on peut justifier la nouvelle jurisprudence d’Auguste : le plus court est apparemment de confesser qu’elle n’était pas régulière. Je ne sais si en la tirant par les cheveux on ne la fit point sortir d’une maxime ou d’une définition qui se trouve dans Cicéron, et qui porte qu’on diminuait la majesté du peuple romain quand on ôtait quelque chose à la dignité, ou à la grandeur, ou à la puissance de ce peuple, ou à celle des gens auxquels il avait communiqué du pouvoir. Majestatem minuere est de dignitate, aut amplitudine, aut potestate populi, aut eorurn quibus populus potestatem dedit, aliquid derogare