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DISSERTATION

[a] Je crois seulement que par la loi de Majestate il faut entendre quelque chose de plus que n’a fait M. Auberi dans l’endroit que j’ai cité, où il dit qu’Auguste ne fit que renouveler l’action capitale que les lois des douze tables avaient établie contre les faiseurs de libelles diffamatoires. Disons en passant que M. Naudé a confondu ces douze tables avec un arrêt du sénat. Il a même fourni une preuve de sa faute ; car ce qu’il cite d’Arnobe prouve manifestement la justice de ma censure. Si nos seigneurs du parlement, dit-il [b], eussent eu le loisir de jeter les yeux sur tous ces livrets diffamatoires, je tiens pour assuré qu’ils auraient empêché la vente d’une bonne partie, quand ce n’aurait été que pour imiter la vertu de cet ancien sénat de Rome, duquel Arnobe disait, si j’ai bonne mémoire : Carmen malum conscribere, quo fama alterius coinquinetur, et vita, decemviralibus scitis evadere noluistis impunitum.

Tibère maintint cette innovation d’Auguste, à cause principalement de quelques plumes médisantes qui attaquaient sa personne, et qui touchaient aux plaies les plus délicates de son domestique. Mox Tiberius consultante Pompeio Macro prætore, an judicia Majestatis redderentur, exercendas leges esse respondit. Hunc quoque asperavêre carmina incertis auctoribus vulgata in sævitiam superbiamque ejus, et discordem cum matre animum [c]. Il mit ensuite cette loi à tous les jours [d] : le pauvre Crémutius Cordus eut beau soutenir [e] qu’il n’avait écrit rien de choquant, ni contre Tibère, ni contre l’impératrice, qui étaient ceux, disait-il, que la loi de Majestate comprenait ; cela ne fut point capable d’effacer son prétendu crime, d’avoir donné quelques louanges à Brutus et à Cassius. Verba mea, patres conscripti, arguuntur adeò factorum innocens sum. Sed neque hæc in principem aut principis parentem, quos lex Majestatis amplectitur [f]. Notez qu’il semble que Tacite ait oublié ce qu’il avait dit au chapitre LXXII du 1er. livre ; car de la manière qu’il fait parler Crémutius Cordus, on dirait que les seuls libelles contre l’empereur et contre l’impératrice étaient compris sous la loi de Majestate : or on ne voit aucune ombre de cette restriction dans le chapitre LXXII.

V. Néron fut assez patient pour les libelles.

Mais n’oublions pas de dire que cette loi de Majestate n’était pas toujours funeste. Néron, tout Néron qu’il était, non-seulement ne cassa pas l’ordonnance

  1. Cicero, lib. II de Invent. On ne parle pas d’un passage du même Cicéron, epist. XI, lib. III, ad Famil., où, selon quelques-uns, il dit que Sylla avait déclaré crime de lèse-majesté les déclamations qu’on ferait contre un autre ; est majestas (et sic Sylla voluit) ne in quamvis impunè declamari liceret : on n’en parle pas, dis-je, parce qu’on ne le croit pas encore bien rétabli, et qu’en tout cas on aimerait mieux l’explication de Lambin que celle de Manuce, quoiqu’on les trouve toutes deux défectueuses.
  2. Naudé, Dialogues de Mascurat, p. 18.
  3. Tacit., Annal., lib. I, cap. LXXII.
  4. Voyez Sueton., in Tiber., cap. LVIII.
  5. Apud Tacitum, Ann., lib. IV, cap. XXXIV.
  6. Idem, ibid.