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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

Ce dogme vient de bon lieu, comme il paraîtra par ce latin : Nostræ contrà duodecim Tabulæ cùm perpaucas res capite sanxissent his hanc quoque sanciendam putaverunt, si quis occentavisset, sive carmen condidisset, quod infamiam faceret flagitiumve alteri. Præclarè, judiciis enim ac magistratuum disceptationibus legitimis propositam vitam, non poëtarum ingeniis habere debemus, nec probrum audire, nisi eâ lege ut respondere liceat et judicio defendere [a]. Que si le mal est d’une autre espèce, jouissant de l’impunité, ou à cause de la tolérance de la justice, ou à cause des personnes qui le font, alors non plus il n’appartient pas à un chacun de se mêler d’en écrire. Il faudrait laisser ce soin à l’histoire, et celui de composer l’histoire à des personnes choisies et autorisées par ceux qui gouvernent : par ce moyen les flétrissures que l’histoire infligerait au nom et à la mémoire des gens qui méritent l’infamie publique, procéderaient de leur véritable source, et seraient comme une émanation de ce droit du glaive, dont le bras des souverains est armé pour le châtiment des méchans. Il faudrait que comme l’Histoire Sainte n’a pas été l’ouvrage d’un particulier, mais de gens qui avaient reçu de Dieu une commission spéciale d’écrire [b], de même l’histoire civile ne fût composée que par des gens commis à cela par le souverain de chaque état. Et alors la présomption serait que l’histoire ne diffamerait pas les gens sur de méchantes preuves ; au lieu que de la manière quel les choses vont, elle distribue les peines et les récompenses, le blâme et la louange, la condamnation et l’absolution, sur les premiers bruits de la renommée, sophistiqués et alambiqués par mille passions. Et ce qu’il y a d’étrange, c’est que le plus petit historien se munit du privilége qui ne doit appartenir qu’à quelques-uns : il prétend qu’on ne doit pas exiger de lui qu’il fournisse ses preuves et ses témoins. Quis unquàm ab historico juratores exegit [c].

Je ne dis pas qu’il n’y ait des inconvéniens de l’autre côté ; mais y en ayant partout, il reste que l’on évite les plus grands, comme sont sans doute cette multitude d’écrivains qu’on voit aujourd’hui salir de leurs mains impures les faits historiques : les salir, dis-je, non-seulement pour le temps présent, mais pour les siècles à venir ; vu qu’il n’y aura que trop de continuateurs du Mellificium Pezelii, de Sethus Calvisius, des Commentaires de Sleidan, etc. [d], trop de faiseurs d’abrégés in usum studiosæ juventutis ; trop d’écrivains, en un mot, qui ne puiseront point ailleurs, et qui perpétueront les mensonges que l’on divulgue jour-

  1. Cicero, IV de legib., apud August., lib. II, de Civit. Dei, cap. IX.
  2. IIe. épître de saint Pierre, chap. I, vs. 20 et 21.
  3. Seneca, de Morte Claudii.
  4. Si l’on désigne quelques auteurs, c’est sans aucune affectation ni dessein, mais à cause que par hasard on se trouve la mémoire fraîche des plaintes de Scrivener, Act. in Schism. Angl., pag. 2 de la Bibliothéque universelle, tom. XVI, pag. 44 et suiv., et passim alibi, de Schoockius, Fabul. Hamel., pag. 140. Voyez aussi l’Ambassadeur de Wicquefort, tom. I, pag. 173.