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DISSERTATION

Code, au titre : Si quis imperatori malè dixerit.

L’histoire moderne ne fournit pas moins d’exemples de cette patience. Vous en trouverez quelques-uns dans une lettre latine de M. de Balzac [a], mais non pas celui de Louis XII, que j’ai rapporté en son lieu [b], ni celui de Catherine de Médicis. Nous apprenons de Brantôme [c] qu’elle lisoit jusques aux belles invectives qui se faisoient contre elle, dont elle se moquoit et s’en rioit sans s’alterer autrement, les appellant des bavards et des donneurs de billevesées. Ainsi usoit-elle de ce mot. Ayant su que les huguenots, aux seconds troubles, avaient avec eux une fort bonne et belle coulevrine qu’ils nommaient la reine mere, elle voulut savoir pourquoi. Il y eut quelqu’un après avoir esté fort pressé d’elle de le dire, qui lui respondit, C’est, madame, parce qu’elle avoit le calibre plus grand et plus gros que les autres. Elle n’en fit que rire la premiere [d]. L’avertissement qu’elle donna à quelques soldats qui disaient d’elle les infamies les plus horribles se voit dans les lettres de Costar, avec de bel les brodures. « [e] Catherine de Médicis, quoi qu’elle fût d’un pays où l’on dit que Dieu s’est réservé la vengeance pour soi, parce que c’est le morceau friand, trouva pourtant plus de friandise à pardonner qu’à punir, lorsqu’elle vit tout auprès de son carrosse quelques soldats qui disoient d’elle toutes les ordures imaginables, sans se contraindre pour sa présence, et sans vouloir seulement se donner la peine de baisser un petit peu leur voix ; car cette grande princesse ne fit autre chose que de mettre la tête à la portière, et de leur dire, après avoir arrêté ses yeux sur cette canaille : Compagnons, si vous n’allez plus loin médire de moi, je vous empêcherai de bien faire rotir l’oie [f], et de la manger si à votre aise que vous le faites. Le cardinal de Lorraine voulait qu’ils fussent pendus pour servir d’exemple. Mais elle aima mieux montrer à la postérité qu’une personne qui était tout ensemble femme, reine et Italienne, pouvait néanmoins commander à sa colère, et résister à la tentation de la volupté qu’elle eût trouvée dans la vengeance. » Je me trompe fort si la source de ce conte n’est pas dans l’histoire de d’Aubigné ; mais afin qu’on voie comment Costar accommodait à sa poste les circonstances des faits, sans songer aux grands abus qui naissent de cette licence, il est à propos de mettre ici le narré original [g] : J’ai appris du sieur de Talsi [h], c’est

  1. Ad Phil. Cospeanum, pag. 251, ed. 1641, in-12.
  2. Dans la rem. (L) de l’art. Louis XII, tom. IX, pag. 435.
  3. Brantôme, dans l’Éloge de Catherine de Médicis.
  4. Idem, ibid.
  5. Costar, pag. 729 du Ier. volume de ses Lettres.
  6. Cela est absurde ici, étant détaché des circonstances marquées par D’Aubigné, ci-dessous.
  7. D’Aubigné, Hist, univ., tom. I, liv. III, ch. V, pag. 198.
  8. C’est apparemment celui dont d’Aubigné fut le gendre, et qui s’appelait Jean Salviati. Voyez l’Histoire de d’Aubigné, tom. II, liv. V, ch. XVIII, pag. 1143.