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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

ment s’ils la pouvaient faire, c’est-à-dire si quelque raison d’amour-propre ne les empêchait de s’y engager. Il n’y a point de différence, disait Cicéron [a], entre conseiller un crime, et l’approuver quand il est fait. C’est la même chose de vouloir qu’une action se fasse, et de se réjouir qu’elle soit faite. Le droit romain a confirmé cette maxime ; il a soumis à la même peine les approbateurs du mal et les auteurs : Et si erat servus omni modo fugiturus, vel furtum facturus, hic verò laudator hujus propositi fuerit, tenetur. Non enim oportet laudando augeri malum [b]. On peut donc dire que ceux qui se plaisent à la lecture des libelles diffamatoires, jusques à donner leur approbation et à ceux qui les composent, et à ceux qui les débitent, sont aussi coupables que s’ils les avaient composés ; car s’ils n’en composent pas de semblables, c’est ou parce qu’ils n’ont pas le don d’écrire, ou parce qu’ils ne veulent rien risquer. Voyez dans l’une des Provinciales [c] la contagion mortelle de la médisance : on y cite saint Bernard, qui a soutenu que la calomnie tue, non-seulement ceux qui la publient, mais aussi ceux qui ne la rejettent pas. Les païens n’ont point ignoré cette morale ; ils ont dit que la médisance est criminelle, et lorsqu’on la débite, et lorsqu’on ajoute foi à celui qui la débite, Διαϐολὴ γὰρ ἐςὶ δεινότατον· ἐν τῇ δύο μέν εἰσι οἱ ἀδικέοντες, εἷς δὲ ὁ ἀδικεόμενος· ὁ μὲν γὰρ διαϐάλλων, ἀδικέει, οὐ τῶν παρεόντων κατηγορέων· ὁ δὲν ἀδικέει, ἀναπειθόμενος πρὶν ἢ ἀτρεκέως ἐκμάθοι· ὁ δὲ δὴ ἀπεὼν τοῦ λόγου τάδε ἐν αὐτοῖσι ἀδικέεται, διαϐληθείς τε ὑπὸ τοῦ ἑτέρου, καὶ νομισθεὶς πρὸς τοῦ ἑτέρου κακὸς εἶναι. Detractio namque importunissima res est : in quâ duo sunt qui injuriam faciunt, unus cui injuria fit. Qui enim detrahit injurius est, quòd non præsentem accusat ; item qui huic credit injurius est, quòd priùs credit quàm rem compertam habeat : et illi cui absenti detrahitur, ob id fit injuria quòd ab altero insimulatur ut malus, ab altero talis putatur [d]. Voyez la question si M. Arnauld est hérétique [e]. D’autre côté nous devons croire que la même lâcheté qui porte certaines personnes à tirer un coup de fusil à leur ennemi les porterait à le diffamer par une satire, si pour toutes armes elles n’avaient que leur plume. C’est comme parmi les bêtes, les unes ne frappent point de la corne, mais elles mordent [f] ; c’est qu’elles n’ont point de cornes, et qu’elles savent user de leurs dents. Disons aussi qu’un satirique qui attente à l’honneur de ses ennemis par ses libelles, attenterait à leur vie par le fer ou par le poison, s’il en avait les mêmes commodités [g]. Au reste, ce

  1. Tu omnium stultissime, non intelligis, si id quod me arguis, voluisse interfici Cæsarem, crimen sit etiam, lætatum esse morte Cæsaris, crimen esse : quid enim interest inter suasorem facti, et probatorem ? aut quid refert, utrùm voluerim fieri, an gaudeam factum ? Cicero, Philip. II, p. m. 722.
  2. Ulpianus, in Leg. 1. D. de servo corrupto. Voyez apud Th. Raynaud. Hoploth., pag. m. 359, 360, quel crime c’est, selon les pères, que de louer le mal.
  3. C’est la XVIe., vers la fin, p. m. 282.
  4. Herodotus, lib. VII, cap. X, p. m. 388.
  5. Pag. 210, 211.
  6. Voyez les Pensées sur les Comètes, pag. 517.
  7. Maledicum à malefico nisi occasione