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SUR L’HIPPOMANES.

que les chevaux, comme Pausanias le remarque ; néanmoins Théocrite n’aura parlé que de l’ardeur des poulines et des cavales ? Voici le remède : le dialecte dorique employait l’article féminin pour désigner un cheval, de même que le dialecte commun employait l’article masculin pour désigner une cavale. Je le veux ; mais comme Pausanias, le passage même que M. de Saumaise cite en preuve de la remarque touchant le dialecte commun, se sert de l’article masculin pour des chevaux, et du féminin pour des cavales, il faut croire que ceux qui se servaient du dialecte dorique appliquaient à chaque sexe son article en certaines occasions : et il serait facile de prouver qu’il y a point d’auteur grec qui ait fait cheval féminin, comme les Français en usent à l’égard de perdrix ; ou masculin, comme ils usent à l’égard de lièvre. Or si on ne montre point un pareil usage dans le dialecte dorique, la réponse de M. de Saumaise n’est qu’une illusion. Il faut supposer, outre cela, que l’hippomanes de la jument de bronze étendait sa vertu extrêmement loin, puisque les chevaux, dont M. de Saumaise veut que Théocrite fasse mention, couraient en furie par les montagnes, et s’allaient unir à leur aimant superatis montibus. On ne trouve point cette idée dans le narré de Pausanias, et l’on en trouve une toute contraire dans ces paroles de Pline : mares Admotos ad rabiem coïtûs agit.

M. de Saumaise, se sentant embarrassé de ces montagnes de Théocrite, les a voulu métamorphoser en quelque autre chose dont il se pût mieux accommoder ; et il a prétendu qu’il fallait lire ἐν ὤρᾳ, au printemps, et non pas ἀν ὤρεα, par les montagnes ; mais par malheur rien ne peut s’accorder plus mal que cette critique avec le texte de Pausanias, où l’on voit expressément que, sans nulle distinction de saisons, les chevaux brûlaient d’amour pour la statue, quelque jour de l’année que ce fût [a]. Enfin M. de Saumaise n’a pas raison de supposer que la statue imprégnée de la vertu de l’hippomanes fût une cavale. Je sais bien que Pline l’a dit avant lui : mais Pausanias, qui s’était fait une étude principale d’examiner tous les monumens de la Grèce, et qui est un auteur incomparablement plus exact que Pline, ne laisse aucun lieu de douter que cette statue ne fût un cheval ; puisqu’il se sert toujours de l’article masculin pour en parler, et qu’il emploie le féminin dans le même lieu pour désigner une jument de haras [b].

VII. Réflexion sur le narré de Pausanias.

Je n’examinerai point si l’on doit croire ce que Pausanias rapporte de la vertu, en quelque façon talismanique, de cette statue. Je dirai néanmoins que

  1. Ἀνὰ πᾶσαν ἐπ᾽ αὐτὸν ὀργῶσιν ἡμέραν.
  2. Ἐπιπηδῶσιν αὐτῷ πολλῷ δή τι ἐμμανέςερον ἢ ἐπὶ τὴν καλλίστην ἕππον ζῶσάν τε καὶ κθάδα ἀναϐαίνεσθαι. Id est juxta versionem Romuli Amasæi, Illum invadunt nihil herclè minùs furenter quàm si viventem pulcherrimam equam gregalem inituri adorirentur.