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CONTENANT LE PROJET.

flexion qui en résulte naturellement ; c’est que l’homme aime mieux se faire du mal pourvu qu’il en fasse à son ennemi, que se procurer un bien qui tournerait au profit de son ennemi. Or comme ce qui est arrivé au censeur est aussi quelquefois le sort de l’apologiste, c’est-à-dire qu’ils ne voient l’un et l’autre qu’une partie des manquemens de leur adversaire, et qu’ils font des fautes chacun à son tour, on voit la nécessité qu’il y a de les suivre dans tout le progrès de leur dispute, lorsqu’on veut faire le recueil que j’entreprends : car il ne doit être composé que de fautes avérées et certaines, comme sont par exemple celles sur quoi les auteurs qui ont été critiqués passent condamnation, ou formellement ou par leur silence, et celles sur quoi on les réduit enfin à ne se défendre que par des absurdités notoires ; sans que pour cela je doute qu’il n’y ait des fautes que l’on réduit à la conviction dès la première critique ; de sorte, monsieur, que si je voulais reprendre la métaphore de la chasse, dont je me suis déjà servi, je devrais dire qu’à la vérité ceux qui cherchent les fautes des auteurs trouvent bien quelquefois la bête toute tuée, ou aux abois, mais qu’ils la trouvent aussi quelquefois qui donne le change, ou qui esquive le coup, ou même qui se défend encore vigoureusement quoique percée de cent traits. Les chicanes que la vanité et la mauvaise honte inspirent aux écrivains critiqués, ne rendent que trop juste l’application de la métaphore. Cependant cela nous montre qu’il ne suffit pas de savoir copier, pour aller heureusement à cette chasse, et que l’abondance des matériaux n’empêche pas que la construction de l’édifice ne coûte beaucoup. Passons plus avant, et disons que de tous les dictionnaires il n’y en a point de plus difficile que celui-ci. Quand on travaille aux autres, on rencontre dans les précédens une infinité de choses toutes préparées, qui ne coûtent que le prendre : on y en rencontre aussi une infinité qu’il ne faut que changer un peu. Tout ce qu’on y trouve de bon est de bonne prise, mais tout cela est inutile pour moi. Ce que j’y trouve de mauvais est la seule chose qui me puisse servir, pourvu que je la sache rectifier.

IV. Utilité d’une telle compilation.

Vous avez vu une réflexion que m’a fournie la lecture de quelques-unes de ces disputes qui contiennent réponse, réplique, duplique, etc. : en voici une autre qui naît de la même source. Après avoir lu la critique d’un ouvrage, on se croit désabusé de plusieurs faits faux que l’on avait pris pour vrais en le lisant. On passe donc de l’affirmation à la négation ; mais si l’on vient à lire une bonne réponse à cette critique, on ne manque guères à l’égard de certaines choses, de revenir à sa première affirmation, pendant que d’autre côté on passe à la négation de certaines choses qu’on avait crues sur la foi de cette critique. On éprouve une semblable révolution quand on vient à lire une bonne réplique