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CONTENANT LE PROJET.

des enfans perdus, battre l’estrade, sonder les gués, et prendre langue des ennemis. S’ils font une mauvaise rencontre, et s’ils ne me rapportent pas de bonnes nouvelles, je prendrai stoïquement le parti de me donner du repos ; si la chose tourne d’une autre manière, je poursuivrai mon dessein. Voilà ce qui m’engage à débuter par ce petit avant-coureur. Quelque destinée qu’il ait, il me fournira l’avantage de vous donner des marques publiques de l’estime et de l’amitié singulières que j’ai pour vous : et si quelque chose est capable de me faire trouver chagrinant le mauvais succès qu’il aura, peut-être ce sera de considérer qu’il n’aura pas été digne de vous être dédié.

Je vous ferai cependant une petite confidence ; c’est que bien loin d’avoir choisi, pour la construction de ce prélude, les fragmens les moins mauvais du dictionnaire critique, j’ai choisi ceux qui m’étaient le plus suspects. La raison de ma conduite n’est pas malaisée à deviner ; puisque le sens commun mène là, que pour jouer au plus sûr dans l’horoscope qu’on veut faire d’un livre à venir, en pressentant le goût du public, il vaut mieux que l’échantillon qu’on montre soit pris du mauvais endroit de la pièce que s’il était pris du bon. Outre cela, quand on souhaite de profiter des avis de ses lecteurs, pour se mieux conduire dans l’exécution d’un projet, il faut exposer principalement aux yeux du public les parties dont la bonté est la plus douteuse. J’ai donc choisi les morceaux dont je me défiais le plus, ou qui contenaient, chacun en son espèce, les irrégularités les plus sensibles, comme vous diriez une longue queue de remarques, une digression qui ressemble à une dissertation en forme, etc. Je loue la simplicité d’un plan ; j’en admire l’exécution uniforme et dégagée ; je fais consister en cela l’idée de la perfection ; mais si je veux passer de cette théorie à la pratique, j’avoue que j’ai de la peine à me régler sur cette idée de perfection : le mélange de plusieurs formes, un peu de bigarrure, pas tant d’uniformité, sont assez mon fait.

Je pense que ce faux goût est un effet de ma paresse : je voudrais que le même livre satisfît ma curiosité sur toutes les choses auxquelles il me fait penser, et je n’aime point à être obligé de passer de livre en livre pour la satisfaire. Comme il est assez naturel de juger des autres par soi-même, il me semble qu’on fait beaucoup de plaisir à un lecteur, lorsqu’on lui épargne la peine de sortir de sa place, et de chercher dans un autre livre certains petits éclaircissemens qu’il peut souhaiter. Vous allez craindre dès ce moment que je n’aille remplir de parenthèses tout cet ouvrage ; mais rassurez-vous ; car en faveur des personnes qui n’aiment pas les interruptions, je ferai en sorte que le texte soit dégagé des observations accessoires, et je renverrai en note, et à la fin de chaque article, ces observations-là, en faveur de ceux qui veulent savoir sur-le-champ les dépen-