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DISSERTATION

dances et les rapports qui lient les choses les unes aux autres. Pour délasser les lecteurs, on aura soin que de temps en temps ils trouvent des endroits un peu enjoués ; on aura, dis-je, ce soin, sans se trop servir du privilége que ces sortes d’ouvrages donnent de s’exprimer naturellement : rien n’est plus nécessaire que ces endroits dans un dictionnaire ; car c’est un ouvrage sec et ennuyant de sa nature. Plût à Dieu que ce fussent tous ses méchans côtés ; mais il s’y en trouve de plus rebutans, puisqu’il n’y a point d’ouvrage dont on juge sur d’aussi mauvais principes que de celui-là. Vous ne voyez que des lecteurs qui se plaignent d’y trouver des choses communes. Que voudraient-ils donc ? Que tout y fût d’un savoir exquis, et qu’on n’y mît rien que ce qu’ils ignorent ? Mais en ce cas-là ce ne serait point un livre tel qu’il doit être, c’est-à-dire à l’usage et à la portée de tout le monde,

Je m’en rapporte à vous, monsieur, qui pouvez juger en maître de tout ce qui regarde les livres : serait-il raisonnable d’éloigner de ce dictionnaire la censure d’une faute, sous prétexte que cette faute n’est pas capable de tromper les grands docteurs, quelque répandue qu’elle soit dans les ouvrages d’une infinité d’écrivains ? Sans doute vous ne serez pas de cet avis : toute fausseté qui est répandue dans plusieurs livres peut tromper beaucoup de gens ; et c’est une raison suffisante pour la marquer dans un dictionnaire critique. Sur ce pied-là, on y peut marquer les fautes des premières éditions, quoiqu’elles aient été corrigées dans les secondes ; car combien y a-t-il de gens qui se servent de la première édition toute leur vie, sans jamais consulter les autres ?

Ne devrais-je pas craindre, en vous marquant de cette façon le caractère de cet ouvrage, que vous ne me demandiez si c’est ainsi que je m’acquitte de mes obligations auprès de vous, et si je n’ai pas honte de vous dédier un livre chargé des péchés du pays latin, et un ramas des ordures de la république des lettres (B). Je suis autant convaincu qu’un homme du monde qu’il ne faudrait vous dédier qu’un recueil de pensées fines et de raretés d’érudition ; et qu’afin que le présent fût digne de vous, il devrait ressembler parfaitement aux écrits que vous avez publiés : ne suis-je donc pas bien coupable, puisque je m’éloigne si étrangement de ce modèle, et que, sans sujet, et même dans des circonstances tout-à-fait différentes, je recours à l’expédient de Catulle, j’effectue sa menace ?

.........Ad librariorum
Curram scrinia, Cæsios, Aquinos,
Suffenum, omnia colligam venena
Ac te his suppliciis remunerabor [a].

On en dira ce qu’on voudra, je suis sûr, quand j’y pense bien, que si mon recueil n’est pas digne de vous être dédié, ce n’est point par la raison que j’ai alléguée. Je le croirais un présent beaucoup plus passable s’il était composé d’un plus grand nombre de mensonges ; et je ne dés-

  1. Catull., epigram. XIV.