Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
SUR LES ATHÉES.

les notions communes cet aphorisme de morale : La crainte et l’amour de la Divinité ne sont pas toujours le principe le plus actif des actions de l’homme.

III. Cela étant, il ne faut point considérer comme un paradoxe scandaleux, mais plutôt comme une chose très-possible, que des gens sans religion soient plus fortement poussés vers les bonnes mœurs par les ressorts du tempérament accompagnés de l’amour des louanges, et soutenus de la crainte du déshonneur, que d’autres gens n’y sont poussés par les instincts de la conscience.

IV. Le scandale devrait être beaucoup plus grand lorsqu’on voit tant de personnes persuadées des vérités de la religion, et plongées dans le crime.

V. Il est même plus étrange que les idolâtres du paganisme aient fait de bonnes actions, qu’il n’est étrange que des philosophes athées aient vécu en honnêtes gens : car ces idolâtres auraient dû être poussés vers le crime par leur propre religion ; ils auraient dû croire qu’afin de se rendre les imitateurs de dieu, ce qui est le fin et la moelle de la religion, il fallait qu’ils fussent fourbes, envieux, fornicateurs, adultères, pédérastes, etc.

VI. D’où l’on peut conclure que les idolâtres, qui ont vécu honnêtement, n’étaient dirigés que par les idées de la raison et de l’honnêteté, ou par le désir des louanges, ou par le tempérament, ou par tels autres principes qui se peuvent tous rencontrer dans des athées. Pourquoi donc s’attendrait-on à trouver plus de vertu sous l’idolâtrie païenne que sous l’irréligion ?

VII. Remarquez bien, s’il vous plaît, qu’en parlant des bonnes mœurs de quelques athées, je ne leur ai point attribué de véritables vertus. Leur sobriété, leur chasteté, leur probité, leur mépris pour les richesses, leur zèle du bien public, leur inclination à rendre de bons offices à leur prochain, ne procédaient pas de l’amour de Dieu, et ne tendaient pas à l’honorer et à le glorifier. Ils en étaient eux-mêmes la source et le but ; l’amour propre en était la base, le terme, toute l’analyse. Ce n’étaient que des péchés éclatans, splendida peccata, comme saint Augustin l’a dit de toutes les belles actions des païens. Ce n’est donc point blesser en nulle manière les prérogatives de la véritable religion, que de dire de quelques athées ce que j’en ai dit. Il est toujours vrai que les bonnes œuvres ne se produisent que dans son enceinte. Eh ! que lui importe que les sectateurs des faux dieux ne soient pas plus sages dans les actions de leur vie que ceux qui n’ont point de religion ? Quel avantage lui reviendrait-il de ce que les adorateurs de Jupiter et de Saturne ne seraient pas aussi engagés dans la voie de perdition que les athées ?

VIII. Si ceux qui se sont scandalisés ont prétendu qu’on ne peut louer les bonnes mœurs d’Épicure sans prétendre que par rapport à la bonne vie c’est toute la même chose, n’avoir point de religion, ou professer une religion, quelle qu’elle soit ; ils ont ignoré l’art des conséquences, et n’ont nullement compris