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ÉCLAIRCISSEMENT

tions de la vérité philosophique.

Il serait à souhaiter que l’on se fût toujours souvenu de ce point-là ; car les malheureuses contestations sur la grâce, qui ont causé tant de désordres, ne sont venues que de ce qu’on a osé traiter ce mystère comme une chose qui se pouvait concilier avec notre faible raison. Les catholiques romains ont donné ici dans la disparate : ils ont insulté Calvin avec les derniers emportemens, parce qu’il avait suivi à la lettre les doctrines de saint Paul ; ils voulaient les expliquer d’une manière mitigée, afin que la raison humaine y trouvât son compte. Ils n’avaient pas eu les mêmes égards pour la raison quand ils avaient expliqué les passages de l’Écriture qui concernent la Trinité et le sacrement de l’Eucharistie. On pourrait lancer sur eux les traits que Balzac décoche sur leurs adversaires. « Nous devrions traiter les ministres de ridicules, dit-il [1], après les avances qu’ils ont faites, et les réserves qu’ils veulent faire. Puisqu’ils nous ont accordé le plus, nous sauraient-ils refuser le moins ? Nous ayant donné le mystère de la Trinité, et celui de l’Incarnation, ils ne se sont rien réservé après cela. Par la concession de ces deux grandes, étranges, étonnantes vérités, ils ont renoncé à la liberté de leur esprit ; et cette liberté est une chose qui ne peut ni se perdre ni se conserver que toute entière. La même autorité qui les assure de la certitude du symbole des apôtres, les assure de la validité de toutes les autres pièces de la religion, et ils ne sont pas mieux fondés de la contester ici que là. L’autorité étant infaillible, elle est infaillible partout ; elle est également infaillible. Le chrétien étant captif de la foi, et non pas juge de la doctrine, doit obéir à la voix qui parle, sans délibérer sur les paroles, parce que les paroles ne le persuaderont pas, si la voix ne l’a déjà persuadé. On n’a plus de droit de rentrer dans les termes de la première franchise de l’homme, quand on a subi le joug de Dieu dominant et victorieux. Il n’est pas temps de vouloir se servir de la raison, après l’avoir soumise à la foi. Quel jeu, je vous prie, serait celui-là, de quitter tantôt sa raison, et tantôt de la reprendre ; de choisir, dans le christianisme, certains endroits qui plaisent, et de rejeter les autres qui ne plaisent pas ; d’être demi-incrédule, et demi-croyant ? Ce serait capituler avec Jésus-Christ, et faire des conditions avec l’église. Ce serait faire quelque chose de pis, et passer de la complaisance au démenti, en lui avouant une partie de ce qu’elle nous propose à croire, et lui soutenant que le reste est faux. » Calvin eût pu se défendre de la sorte contre ceux qui désapprouvaient son hypothèse de la prédestination. Il pouvait leur dire : Vous faites mal à propos les délicats, après avoir digéré les difficultés d’un seul Dieu en trois personnes,

  1. Balzac, Socrate chrétien, disc. XII, pag. m. 320 et suiv.