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URCÉUS CODRUS.

ensuite, comme il piochait dans un champ, il trouva un pot plein d’une assez bonne quantité d’argent, dont il employa une partie à acheter le champ même et l’autre à faire une boutique de parfumeur. Corthèse, fils de Barthélemi, eut de sa femme nommé Ghérardine, deux enfans mâles : Antoine, qui fait le sujet de cet article, et un autre nommé Pierre-Antoine ; la naissance de ce dernier coûta la vie à sa mère. Le père mourut après la quatre-vingt-unième année de son âge. Il ne négligea point la jeunesse de ses fils ; il leur donna les maîtres nécessaires : mais on dit que notre Codrus, tout jeune encore, le quitta pour aller à Mutine étudier sous Tribac, homme assez habile pour ce temps-là. Quelques mois après il revint à Herbéria, d’où son père l’envoya à Ferrare étudier sous Baptiste Guarini, professeur célèbre dans les langues grecque et latine. Il profita aussi des leçons de Lucas Ripa, professeur en éloquence, et homme dont la modestie égalait l’habileté. Codrus fit de tels progrès sous ces deux maîtres, qu’il passa de bien loin tous ses autres compagnons, confirmant ainsi les belles espérances que ses parens avaient conçues de lui.

Il y en a qui disent qu’il commença à Ferrare à enseigner des enfans, quoiqu’il eût à peine alors vingt-deux ans ; mais Blanchini doute de cette particularité. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il resta à Ferrare cinq ans, et qu’ensuite il fut appelé à Forli pour enseigner les langues, où on lui donna des appointemens plus considérables que ses prédécesseurs n’avaient eus. Il écrit dans sa lettre à Mengo, qu’il y fut pendant dix ans professeur public des belles-lettres : et son historien dit (ce qui n’est point contradictoire) que pendant près de treize ans Codrus y enseigna la jeunesse, et en particulier Sinibaldo, fils du prince de Forli, chez lequel il avait la table et le logement.

Il lui arriva dans ce temps-là un accident qui pensa lui faire perdre l’esprit. Il avait dans l’intérieur du palais une chambre si obscure, que sans le secours d’une lampe il ne pouvait à la pointe du jour en distinguer même les murailles ; c’est ce qui faisait que lorsqu’il voulait étudier de bonne heure il se servait d’une lampe fort bien travaillée, et au haut de laquelle il avait gravé ces paroles, studia lucernam olentia optimè olent. Un jour qu’il sortit sans l’éteindre, le feu prit à des papiers, et de là à tout ce qu’il y avait dans la chambre (car on ne s’en aperçut que lorsque les flammes sortaient déjà par les fenêtres) : un livre qu’il avait composé, intitulé Pastor, fut brûlé, avec tous ses papiers. On dit que, lorsqu’on qui apprit la première nouvelle de cet incendie, il fut si transporté de fureur, qu’il courut jusqu’au palais, et que s’arrêtant devant la porte de sa chambre, où les flammes l’’empêchaient d’entrer, « Ô Christ, dit-il, quel grand crime ai-je donc commis ? quel des tiens ai-je donc offensé, pour te laisser emporter contre moi à une haine si impitoyable ? Se tour-