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ACHILLE.

ploi pour une mère ! Thétis ne laissa pas de l’accepter, et d’inventer une manière de maquerellage qui consista à faire accroire à son fils qu’il jouissait de la belle Hélène ; mais ce ne fut qu’un songe, et néanmoins ce régal imaginaire apaisa les tourmens d’Achille. On eut beau lui ôter sa Briséis, il ne coucha pourtant point seul : il avait eu trop de soin de ses provisions de lit. Il pouvait trouver des relais chez lui en cas de besoin : Diomédée prit la place de Briséis[1]. Dès qu’il eut vu Polyxène, fille de Priam, il voulut en faire sa femme ; et n’ayant pu satisfaire ce désir pendant sa vie, il demanda après sa mort qu’on la lui sacrifiât, afin qu’il en pût jouir aux Champs Élysées[2]. Il avait si bien mérité en ce monde d’être nommé [3] ἐρωτικὸς ἀσελγὴς, ἀκρατὴς, ἐρωτικώτατος [4], qu’on crut que même dans l’autre il avait besoin de femmes, et c’est pour cela qu’on l’y a marié avec Médée et avec Hélène. Il fut accusé d’être devenu amoureux de l’amazone Penthésilée, peu après lui avoir ôté la vie, et d’avoir assouvi sa passion sur ce corps de femme frais tué[5]. Nous en parlerons dans l’article de Thersite[* 1]. Voyez aussi l’article de Tenes.

(P) S’étaient répandues sur les personnes de son sexe. ] Il y en a qui veulent que Troïlus, fils de Priam, soit mort étouffé entre les bras du lascif Achille, qui le voulait violer, et qui trouva trop de résistance[6]. On a donné un tour fort malin au choix qu’Ajax suggéra à Ménélas ; il lui conseilla de faire porter à Achille par le bel Antilochus la nouvelle de la mort de Patrocle. Philostrate, qui dit assez clairement quelles pouvaient être les liaisons du héros avec le messager choisi, s’est trompé sur l’auteur du choix[7] ; car ce ne fut point Ménélas, comme il le dit, qui jeta les yeux sur Antilochus ; ce fut Ajax qui le proposa à Ménélas[8]. Mais c’est principalement envers Patrocle qu’on a donné un tour criminel à la tendresse d’Achille. Platon prend son parti là-dessus contre Eschyle[9]. Xénophon est en cela de l’avis de Platon [10]. Sextus Empiricus traite la chose en homme de sa profession, je veux dire pyrrhoniquement[11]. Mais Lucien et Philostrate[12] y mettent tout leur venin ; l’un d’eux prétend qu’Achille ne se tint point assez sur ses gardes en pleurant la mort de son ami, et qu’il se laissa échapper la vérité par ces paroles : μηρῶν τε τῶν σῶν εὐσεβὴς ὁμιλία καλλίων[13], femorum et tuorum sancta conversatio melior. Que dirai-je de ces deux vers de l’épigrarame XLIV du livre onzième de Martial ?

Bryseïs multùm quamvis aversa jaceret,
Æacidæ propior levis amicus erat.

  1. * Bayle n’a point donné d’article Thersite.
  1. Homer., Iliad. lib. IX, vs. 660.
  2. Seneca in Troad. vs. 945.
  3. Libanius, Progymn. pag. 101, B, et pag. 127, A ; Declam. IV, pag. 256, B ; et Orat. IX, pag. 258, C.
  4. Plutarch. in Amator. pag. 761, D.
  5. Tzetzes in Lycophr. Libanius, Progymn. pag. 101, C ; et pag. 153, A.
  6. Servius in Æneid. Lycophron, vs. 307, et ibi Tzetzes.
  7. In Antil. pag. 670, et Icon. p. 789, D.
  8. Homer. Iliad. lib. XVI, vs. 628, 651, 653, 655.
  9. In Conviv. tom. III, pag. 180, A.
  10. In Conviv. pag. 898, A.
  11. Sext. Empir. Pyrrh. Hyp. III, pag. 152, A.
  12. Philostr. in Epist. pag. 903, A.
  13. Lucian. in Amorib. pag. 1071, tom. I, edit. Salmeriensis.

ACHILLÉA, île du Pont Euxin, que l’on a nommée aussi l’île des Héros, l’île Macaron[a], ou l’île des Bienheureux, Leuce, etc., était, selon quelques-uns, vis-à-vis du Borysthène, et, selon quelques autres, vis-à-vis du Danube. Le nom d’Achillea lui fut donné à cause que l’on y voyait le tombeau d’Achille[b], et qu’elle était consacrée à ce héros. Thétis ou Neptune la lui donnèrent[c], et il obtint les honneurs divins, temple, oracle, autel, sacrifices et ce qui s’ensuit. Quelques-uns parlent de cette île comme si elle avait été inhabitée, et s’il n’y avait eu

  1. Plinii Hist. Natur., lib. IV, cap. XII et XIII. Pausan, lib. III, pag. 102.
  2. Mela, lib. II, cap. VII. Scylax, p. 28.
  3. Autor Peripli Ponti Euxini ab Is. Vossio editus ; Quintus Calaber, sub fin. lib. III.